ÉDITORIAL
Vert de rage et d’indignation
Je ne suis pas étonné. Non seulement cela me conforte dans mes choix, mais je suis carrément choqué. Les claques sont à la mode, et celle-ci en est une en plein dans notre visage de bons petits citoyens canadiens. Le Gouvernement de Trudeau dévoile enfin son plan de lutte contre la crise climatique, dont il se fait volontiers un pourfendeur sur la scène internationale, quitte à être un donneur de leçon : « Nous devrions être ambitieux et dire dès aujourd’hui que nous voulons tripler cela pour que 60 % des émissions mondiales soient couvertes par un prix sur la pollution en 2030. » ; les pays qui choisissent de ne pas appliquer de tarification sur le carbone « devront en faire plus dans d’autres secteurs de leur économie ».
Aujourd’hui, ce serait risible, si ce n’était pas vrai : les libéraux placent la barre des objectifs climatiques plus haut, toujours avec la promesse d’être « carboneutre » d’ici à 2050, tout en dédouanant les deux secteurs les plus polluants de notre économie : les transports et l’industrie pétrolière. En effet, alors que les autres secteurs devront se plier à l’objectif de 40 % de réduction des GES (par rapport au niveau de 2005) d’ici à 2030, les entreprises qui extraient les énergies fossiles devront atteindre 31 %, bien qu’elles en émettent cinq fois plus ! Et dans un contexte où il a déjà été annoncé que la production allait augmenter ; nécessité que la guerre en Ukraine n’a fait qu’exacerber. Quant au transport, la réduction visée n’est que de 12 %, donc il deviendra à terme plus polluant que le pétrole ! Cherchez l’erreur ! Sous couvert de pragmatisme (chaque secteur économique a sa réalité propre et nous en demandons tellement aux pauvres pétrolières), on pourra continuer à polluer en s’exonérant des conséquences. À condition de payer pour la tonne de GES produite et d’utiliser la fameuse « capture » du carbone : en gros, enfouir le CO2 dans le sol, en espérant qu’il n’en sorte jamais et que notre sous-sol puisse en contenir indéfiniment, bien sûr ! Ça, c’est du développement durable !
Pourtant il me semble que changer les règles pendant une partie pour ne pas perdre, balayer les saletés sous le tapis et croire dans la magie d’une technologie balbutiante illustrent surtout un déni, qui est habituellement le signe de l’immaturité, une manière d’éviter la responsabilité et l’apanage des enfants. N’est-ce pas un peu pitoyable ?
À part ça, le plan de réduction des GES pour 2030 repose sur trois leviers principaux : capturer le carbone (technologie en devenir, au résultat très discutable), électrifier le transport routier (mais pas avant 2026, voyons, quand Trudeau ne sera plus au gouvernement) et améliorer l’isolation des bâtiments (un classique indémodable).
L’ironie ultime est que même si le Canada atteignait ces cibles-là, il n’atteindrait pas les cibles données par le GIEC afin d’éviter une augmentation catastrophique des températures au-delà de 1,5 degré. Alors, OK, les libéraux annoncent ce qu’aucun gouvernement n’a jamais fait auparavant, mais au vu de ce qu’ils (n’) ont (pas) fait depuis 7 ans, pourquoi devrait-on les croire ? Ils ont promis devant le monde entier à Glasgow de cesser de subventionner le secteur pétrolier et gazier au Canada en 2023 ! Quid du projet pétrolier norvégien Bay du Nord, que le ministre Steven Guilbeault doit autoriser sous peu ?