ÉDITORIAL
Une ironie douce-amère
Aujourd’hui, vous lisez un éditorial sur l’air du temps. Parfois les évènements se télescopent au point qu’apparait toute l’ironie de la situation si nous prenons un peu de recul pour réfléchir. La semaine passée seulement, se sont déroulées simultanément des manifestations « pour la liberté » ici, au Canada, en France, aux Pays-Bas, en Australie ou en Nouvelle-Zélande ; le Superbowl a eu lieu concomitamment aux Jeux olympiques d’hiver de Beijing ; le gouvernement Legault a promis près de 1,5 milliard de dollars pour aider Airbus et sa C series, pendant que les marchés boursiers reculent jour après jour, à cause des incertitudes sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Vous me direz que c’est une liste à la Prévert, que je fais des liens entre des situations trop différentes. Et bien, ce sont justement toutes ces choses disparates qui font l’air du temps… et leur juxtaposition est savoureuse, même si l’on fait la grimace.
En effet, comment ne pas goûter l’ironie de célébrer la performance de nos athlètes à des Jeux olympiques dans la plus grande dictature au monde, flattant ainsi un sentiment national qui a conduit aux pires guerres des 150 dernières années et s’illustre encore dans la crise ukrainienne ? Ou bien on peut se délecter de voir les manifestations pour la liberté se généraliser, alors que, paradoxalement, partout les restrictions sanitaires se relâchent ! Au Québec, il n’y aura plus de limitation au nombre de personnes dans les regroupements à partir de la semaine prochaine. À propos, il est risible de voir nos policiers incapables de réagir pour arrêter l’occupation — la police n’a rien fait contre l’installation de toilettes sèches ou de spas à Ottawa ! — alors que les manifestants à Paris ont été éparpillés à coup de gaz lacrymogène. 14 personnes arrêtées en deux semaines à Ottawa contre 58 en une seule journée dans la capitale française…
Les prix des denrées alimentaires partout augmentent, l’inflation connait des records historiques, les taux d’intérêt des banques vont suivre, étranglant financièrement des milliers d’entre nous ! Et personne ne se pose de questions sur les salaires inouïs de nos sportifs professionnels au hockey — qui ont d’ailleurs boudé les JO —, au base-ball, au soccer, au golf, etc. ? Combien d’entre nous, bien à l’aise dans leur sofa, armés d’une aile de poulet et d’une bière, devant le spectacle de l’année qu’est le Superbowl, se posent des questions sur l’indécence du budget de cet évènement « sportif » ?
La cerise sur le sundae, c’est évidemment la leçon que nos gouvernements — le fédéral est qualifié de tyrannique, bien qu’il laisse les manifestants prendre en otage nos routes et centres-villes depuis deux semaines ! — donne aux manifestants, une leçon sur la liberté, les droits civiques et la démocratie : eh, les gars, vous avez été élu avec combien de voix ? 15 %, 25 %, 30 % maximum ? Et avec une abstention de 30 %, 50 %, 70 % ? Cela pourrait-il avoir un lien avec la grogne sociale et la perte de confiance actuelle dans les institutions ? Et il a fallu non pas une pétition ou un recours judiciaire par des citoyens excédés, mais plutôt un coup de gueule des grands patrons de l’industrie automobile pour que soit déclaré l’état d’urgence en Ontario, et le pont Ambassador rouvert. Vous comprenez pourquoi il me reste aujourd’hui un goût doux-amer à la bouche.