Une enseignante portant le hidjab est retirée de sa classe
Sophie Demers
La commission scolaire Western Québec (CSWQ) a retiré de sa classe Fatemeh Anvari, enseignante de troisième année d’une école primaire de Chelsea, parce qu’elle porte le hidjab. Cette mesure a été prise en vertu de la loi 21, qui interdit le port de signes religieux à certaines personnes en position d’autorité, y compris le personnel enseignant.
« La commission scolaire n’aurait pas dû embaucher cette personne en premier lieu comme enseignante, compte tenu de la loi 21 », a déclaré le premier ministre François Legault lors d’une conférence de presse. « Et je tiens à rappeler à tous que le projet de loi 21 est devenu loi en juin 2019. Il a été voté démocratiquement par l’Assemblée nationale. Je pense que c’est une loi raisonnable, une loi équilibrée », a-t-il ajouté.
Les avocats de l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) et du Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) avaient fait valoir en cour d’appel que la mesure législative a un impact disproportionné sur les personnes qui sont déjà marginalisées. L’ACLC et le CNMC continuent de lutter contre la loi devant les tribunaux depuis son adoption en 2019.
Le Bulletin d’Aylmer s’est entretenu avec le président intérimaire de la CSWQ, Wayne Daly, au sujet de la situation. Celuici a indiqué que l’organisation n’a eu d’autre choix que de retirer l’enseignante de sa classe après qu’elle ait refusé d’enlever son voile, comme l'exige la loi 21. Lorsque questionné à savoir quand l’enseignante avait été embauchée, M. Daly a répondu que pour des raisons de confidentialité, il lui était impossible de commenter davantage le statut d’emploi de la personne concernée.
« Toutes les commissions scolaires du Québec ont une case à cocher sur leurs formulaires de demande d'emploi, pour que les personnes qui postulent à un poste en enseignement certifient qu’elles ont pris connaissance de l’information relative à la loi 21. Nous embauchons des gens qui possèdent au minimum un diplôme universitaire; certains ont une maîtrise et même un doctorat. Nous nous attendons à ce qu’ils soient capables de lire un document de deux pages. Toute l’information se trouve sur notre site Web ». Lorsqu’on lui a demandé s’il laissait entendre que l’enseignante était responsable de la situation, M. Daly fut catégorique. « Pour avoir pris la décision de ne pas se conformer à la loi 21? Oui ».
Bien que la CSWQ ait publiquement dénoncé la loi 21 et que M. Daly ait déclaré que l’organisation s’y oppose fermement depuis le début, lorsqu’on lui a demandé quelles auraient été les conséquences d’un refus par la commission scolaire d’appliquer la loi, M. Daly a répondu qu’ils ont le devoir fiducial de respecter la loi. « Nous aurions été en contravention avec la loi. Nos écoles sont des environnements d’apprentissage; nous avons le devoir d’apprendre aux enfants à respecter les lois en société, les règles à l'école et les consignes de leurs parents. Si nous avions décidé arbitrairement d’enfreindre la loi, beaucoup de parents auraient été indignés ». Par ailleurs, M. Daly a fait remarquer qu’il comprend parfaitement les préoccupations des parents et les enjeux soulevés par la loi 21.
Mme Anvari a depuis été réaffectée à d’autres tâches, auxquelles la loi 21 ne s’applique pas. Elle travaille à un projet d’alphabétisation destiné à sensibiliser les élèves à la diversité et à l’inclusion.
Élèves et parents ont été nombreux à manifester leur appui envers l’enseignante en lui adressant des messages sur les réseaux sociaux et en nouant des rubans verts à la clôture extérieure de l’école.
Beaucoup sont préoccupés par le message que cette affaire envoie aux élèves. « Il s'agit d’enfants de troisième année, pour qui tout est soit noir, soit blanc. C’est plutôt en quatrième et en cinquième année qu’ils prennent conscience de l’existence de "zones grises". Prenons l’exemple d’une enseignante qui part en congé de maternité et qui doit donc être remplacée; après deux semaines, je ne suis pas certains qu’ils [les élèves] se souviendraient du nom de la première enseignante », a dit M. Daly. « L’attitude des parents fait toute la différence dans un cas comme celuici. Je leur conseille de ne pas mettre l’emphase sur cette affaire outremesure. Une autre chose que je dis aux parents est de penser à la nouvelle enseignante, et d’accueillir chaleureusement cette personne. Je ne veux pas que les parents lui tiennent rigueur du départ de Mme Anvari. Tout le monde dit qu’elle [Mme Anvari] est excellente, mais elle n’est plus en poste. La même chose aurait pu se produire avec un congé de maternité ou un départ à la retraite. Oui, les élèves ont aimé cette enseignante, mais ils aimeront aussi la prochaine. Nous devons faire baisser la rhétorique d’un cran ». Le président intérimaire est d’avis que les parents doivent continuer de faire entendre leurs doléances à l’égard de la loi 21. « Je ne vois pas en quoi cette loi aide les citoyens ».
« C’est troublant, car cela crée une forme de citoyenneté de seconde classe au Québec. Nous menons cette bataille juridique avec l’ACLC depuis le premier jour. Assez, c’est assez. Nous exigeons une action immédiate du gouvernement fédéral », a déclaré le CNMC dans un message sur son compte Twitter.
Trad. : MET