La tyrannie de la beauté
Une auteure d’Aylmer publie un livre sur les tabous associés à la laideur
Sophie Demers
Dans ce premier ouvrage intitulé Laideronnie, à la fois récit personnel et réflexion sur la laidophobie ambiante, Kareen Martel traite de l’intimidation vécue lorsqu’elle était enfant en raison de son apparence. L’auteure et Aylmeroise d’adoption raconte qu’elle était laide, au point de se le faire crier dans la rue. Elle traite aussi de la laidophobie et de ses conséquences – souvent dévastatrices – pour les personnes qui en sont victimes au quotidien.
La laidophobie constitue le rejet et la discrimination des personnes « laides » par la société. L’auteure indique que la laideur est une expérience qui finit par être intériorisée, mais qui demeure essentiellement dictée par les autres. Elle compare ce phénomène à la grossophobie, soit la discrimination des personnes grosses (en surpoids ou obèses) fondée sur des stéréotypes et préjugés négatifs. Avec son livre, l’auteure souhaite braquer les projecteurs sur l’une des formes de discrimination les plus ignorées afin de sensibiliser les gens à la façon dont la société traite les personnes laides ou dont l’apparence ne correspond pas aux critères de beauté.
Laideronnie est publié aux éditions Somme toute. Safia Nolin, auteure-compositrice-interprète québécoise, signe la préface du livre.
« Je lis beaucoup d’autofiction et de récits. Ça me plaît en raison de la vulnérabilité, de l'absence de pudeur généralement de mise et de la façon dont les sujets tabous sont abordés. Toutefois, on ne parle pas souvent de la laideur », soutient l’auteure. « J’ai pensé que je pouvais peut-être aborder le sujet ». Au début, j’avais honte de dire de quoi mon livre parlait. J’ai commencé par dire que ça parlait d’intimidation. J’avais honte de dire qu’on m’avait traitée de laide ». En écrivant ce livre, Kareen Martel a voulu s’attaquer à sa propre laidophobie et se libérer de sa honte. Le travail d’écriture a donc été aussi pour elle une sorte d’émancipation, un affranchissement du regard des autres.
« Quand on est laid, c’est comme si on était moins humain », mentionne l’auteure. « C’est comme si on choquait. Comme si l’accès à un beau visage était un droit, que nous bafouons par notre seule présence ».
Mme Martel a expliqué au Bulletin que le fait de se considérer comme une personne laide peut avoir des conséquences néfastes sur la santé mentale et le bien-être social et économique. Des études sociologiques ont démontré que les personnes de belle apparence ont plus de chances de décrocher un emploi ou d'obtenir une promotion, et qu’elles sont plus à l'aise dans les activités à caractère social.
« La beauté physique donne lieu à ce qu’on appelle un effet de halo : les belles personnes sont perçues comme étant plus gentilles, plus intelligentes que les autres. Au contraire, lorsqu’il s’agit de personnes moins attirantes, les gens présument qu'elles sont incompétentes ou moins honnêtes », a expliqué Mme Martel. « Souvent, les personnes laides évitent certains contextes sociaux ou laissent passer des opportunités par peur du regard des autres ».
Mme Martel souhaite que son ouvrage incite les gens à reconsidérer la laideur et, qui sait, apprendre à l'apprécier. Elle aimerait, à tout le moins, voir les gens se traiter mutuellement avec gentillesse et respect. Car, beau ou laid, nous sommes tous humains.
Kareen Martel est auteure, mère de famille et libraire à temps partiel à la librairie Michabou, dans le secteur Aylmer.
Légende photo : Kareen Martel, auteure de Laideronnie
Photo : Gracieuseté de Kareen Martel
Trad. : MET