ÉDITORIAL
Un vent de révolte
Et voilà ! Encore un ! Le Caucase connait à son tour des manifestations massives pour déloger le gouvernement en place et exprimer son ras-le-bol. Réclamation : la démission du gouvernement, des élections anticipées. Les Caucasiens sont allés jusqu’à bloquer les entrées du parlement de Tbilissi. En retour : canons à eau, 28 arrestations et plusieurs blessés. Le déclic : le rejet par le parlement d’un projet de loi pour passer d’un mode de scrutin mixte à un scrutin proportionnel. Intéressant, non ?
Je pourrais multiplier les exemples. Rien que dans les Amériques, plusieurs pays connaissent en ce moment des mouvements où la population manifeste dans la rue. Venezuela, Chili, Brésil, Équateur… Ajoutez-y sur les autres continents la Catalogne, la France (des gilets jaunes), la Russie, l’Ukraine, Hong Kong, l’Algérie, la Somalie, le Liban ou l’Irak. Dans ces derniers pays, arabo-musulmans, c’est contre la corruption, l’arrogance des élites, la misogynie, la religion ou le communautarisme étouffant. Il se passe quelque chose. La coïncidence ne peut être fortuite.
Chez certains, l’augmentation des taxes sur l’essence, le coût de la vie suffisent à enflammer les débats ; pour d’autres, les changements climatiques ou encore les dénis de démocratie ponctuels ou répétés poussent des gens ordinaires à laisser éclater leur colère. Au-delà des problématiques nationales qu’ils illustrent, tous s’en prennent à une certaine manière de gouverner, et plus largement à un « système » supposément démocratique, mais le plus souvent oligarchique. En effet, là où la diversité des opinions politiques devrait être reflétée dans les parlements, mais également où les décisions semblent souvent « parachutées » d’en haut, sans consultation préalable des principaux concernés ; là où les états devraient s’engager à réduire les inégalités, à mieux répartir la richesse, partout, il semble qu’ils ne font que perpétuer un système qui enrichit toujours les mêmes, au détriment de la masse, tout en faisant miroiter le contraire au moment des élections. Cela vous rappelle-t-il une certaine situation près de chez nous ?
Au moment où je vous parle, 26 personnes dans le monde possèdent autant que la moitié de l’humanité (Oxfam) ! Alors, doit-on en arriver à une véritable révolution pour que les choses changent vraiment, pour inverser la tendance ? Chose certaine, la plupart du temps, il y a un véritable état d’esprit pacifique, une volonté révolutionnaire irréfragable, mais sans violence… Jusqu’à ce que le pouvoir y réponde de manière violente, par manque de patience ou d’arguments. Et alors tout est possible, jusqu’à la mort parfois.
Cela me pousse à me questionner : la voie de la manifestation non violente, de la désobéissance civile (simplement s’asseoir au milieu de la rue) est-elle encore efficace ? Depuis Gandhi dans les années 1940, cet outil a vu sa puissance effective décliner, nous enseignent les études universitaires, puisque la moitié de ces mouvements — seulement — réussissent. Étonnamment, à l’inverse, la répression ne solutionnerait que 15 % de ces mêmes mouvements ; or, une réponse coercitive (agents provocateurs, infiltrés, surveillance de masse, techniques pour mieux contrôler les foules…) est désormais observée à peu près dans tous les cas aujourd’hui. L’action collective est davantage criminalisée que par le passé. Pensez aux altermondialistes qui s’invitent aux G7, G20 et autres grand-messes de nos grands dirigeants : ils sont traités comme des terroristes. À quand une surveillance généralisée comme en Chine, qui fera de chacun d’entre nous, potentiellement, une « personne d’intérêt » ?