ÉDITORIAL
Un retour à la normale? (1)
Avez-vous lu cette pleine page de « publicité » dans le Devoir de la semaine dernière? Cadeau de la Fédération autonome de l’enseignement, elle montre au premier plan un Legault en train de jouer au petit train, avec des camions et des modèles réduits de tractopelles, de camions, etc. dans un décor de poupée qui réunit une Assemblée nationale, une école, une banque, une usine; en haut et en arrière-plan, une grosse boîte nous est montrée, dont on comprend que tous les jouets du personnage viennent de là. Sur cette boîte : « Projet de loi 61. Le Monde de Legault » et sur son côté : « potentiellement nocif pour l’environnement », « appels d’offres escamotés », « des heures de plaisir à magouiller avec vos petits amis ». On peut donc dire que le message est clair.
D’ailleurs, les partis d’opposition ne s’y sont pas trompés, et devant le refus du gouvernement de scinder son programme d’infrastructures en plusieurs parties, ils ont refusé d’en débattre, repoussant son adoption à l’automne. Je ne veux pas revenir sur les risques évidents que présente une disposition permettant aux ministres de donner l’aval aux entreprises de leur choix sur de grands projets de construction par simple décret. Ce qui m’intéresse est davantage la philosophie de ce retour à la normale, qui ressemble au mieux à un geste précipité sans trop de réflexion et au pire à une initiative désastreuse, sans vision d’avenir.
Déjà, il me parait un peu réducteur de ne voir la relance de la société après le pic de la pandémie que sous l’angle de l’économie et en particulier des projets de construction ou d’exploitation des ressources naturelles. Le principe « à circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles » n’est pas un prétexte recevable. Remettre le monde au travail et rouvrir les commerces, donc relancer l’économie selon Legault, comme objectifs ultimes de la société sont déjà en soi discutables. Je comprends qu’ils soient des secteurs clés au Québec, cependant, comme plusieurs experts et penseurs l’ont proposé, pourquoi ne pas en profiter pour investir dans des secteurs plus durables, pourquoi ne pas repenser un peu le fonctionnement de notre vie? Admettons que l’on doive rénover les CHSLD, construire des « Maisons des ainés », refaire les routes, réaliser plusieurs projets de transport en commun (le tramway à l’ouest de Gatineau ?), etc. mais franchement, plus aucune évaluation environnementale et des procédures d’expropriation accélérées?
La réponse se trouve dans l’absence totale du ministre de l’Environnement (eh oui, il y en a un) dans le débat. Et ne soyons pas étonnés que le patronat approuve ! Ce n’est pas de la bureaucratie, n’en déplaise à la CAQ, mais tout simplement un déni de démocratie et un manque de vision en termes de développement durable. Même le directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Québec y est allé d’un commentaire lapidaire en estimant que Legault « emprunte la voie de la monétisation de la destruction de l’habitat des espèces menacées ».
D’ailleurs, au palier fédéral, il en est de même : Trudeau tente de nous en passer une petite vite, en exemptant les forages en mer d’évaluation environnementale, afin de sauver l’économie de Terre-Neuve-et-Labrador et parce que cette province assure « la prospérité économique […] du reste du Canada ». Cela résoudra-t-il vraiment notre vulnérabilité face à une autre catastrophe mondiale (climatique, sanitaire) à l’avenir?