ÉDITORIAL
Un cabinet comptable
Legault a reculé au sujet du Programme d’expérience québécoise (PEQ). La belle affaire ! Au départ, il y avait une intention — en apparence — louable : mieux contrôler l’immigration et réduire le nombre d’immigrants pour mieux s’occuper des heureux élus. Déjà, le fond était discutable, parce qu’il laisse supposer qu’il y a trop d’immigrants. Au dernier recensement, depuis 2001, la proportion d’immigrants est passée de 10 % à 14 % de la population québécoise (de 800,000 à 1,1 million de personnes). Taux de chômage au Québec : 5 % de la population active, soit 250 000 personnes. La seule tranche d’âge qui n’est pas en baisse, est celle des 55 ans et plus. Alors pour certains, l’équation était peut-être un peu trop simple à faire, vous me suivez ?
En même temps, compte tenu du faible taux de natalité (1,54 enfant par femme, en baisse, alors que le renouvellement de la population exige 2,1), on ne devrait pas faire les difficiles. En plus, les économistes nous le répètent sans cesse : on manque de travailleurs à peu près dans tous les secteurs, y compris ceux cruciaux de la santé et de l’éducation. Ça va de mal en pis. Et plutôt que d’ouvrir les vannes de l’immigration, avec des moyens supplémentaires en formation et en francisation — si nécessaire — notre gouvernement caquiste et justement « économique » fait le contraire… Pourtant, il n’y a pas le choix : augmenter la natalité ou augmenter l’immigration.
Ajoutons, pour corser le tout, que le Québec de la CAQ semble faire grand cas du français et des valeurs québécoises, auxquels tous les nouveaux arrivants devraient adhérer. Là-dessus, point de discussion et, à vrai dire, je suis plutôt d’accord. Mais dans cette obsession de l’économie, de l’immigration « utile » et d’une loi du marché qui devrait gouverner tous les aspects de notre existence, un jeune ministre impétueux et impatient, avocat de métier avec double maitrise (ce qui, visiblement, ne signifie pas culture ou altruisme), s’est mis dans la tête de couper en immigration au petit bonheur la chance. Dans le PEQ.
Or, une simple réflexion « économique » lui aurait évité bien des soucis. Les entreprises, les établissements d’enseignement supérieur, la société civile, personne ne trouve avantage à limiter l’entrée aux étudiants étrangers, qui constituent plus de 15 % des étudiants québécois et une source de financement appréciable, pour parler en termes monétaires. De surcroît, la plupart sont jeunes (forcément), francophones, ouverts et modernes, prêts à s’adapter et désireux de faire leur vie dans notre belle province, si l’occasion se présente.
Mais le véritable problème est ailleurs : l’équipe du premier ministre Legault a surtout montré une ignorance crasse de ce qui fait la richesse d’une démocratie tournée vers l’avenir. Il ne comprend pas ce qui fait l’intelligence et la « plus-value » (parlons son langage) de notre société. Ce qui est grave en effet est qu’il envisage l’éducation comme une simple liste de formations visant à combler les besoins du marché de l’emploi. À écouter la CAQ, il n’y en aurait que pour les formations en sciences pures ou appliquées ! Quid des sciences sociales, des arts, des lettres et des langues ? Mais alors, plus besoin d’esprit créatif ? À quoi servirait la culture ? Pourquoi former l’esprit critique ? Legault ne sait pas. Legault a un rêve. Une société uniquement constituée de techniciens, de comptables, d’ingénieurs et de commerçants.