ÉDITORIAL
Quelle démocratie voulons-nous?
La démocratie est par définition un système politique qui vise à représenter le peuple, chacun d’entre nous. Au mieux, en tout cas, d’où son imperfection. Cet idéal de représentation est illustré par un scrutin complètement proportionnel, où chaque personne qui vote compterait pour une voix, qui viendrait s’ajouter aux autres pour donner une certaine quantité de suffrages. Ce nombre déterminerait mécaniquement qui serait élu. Seule (grosse) conséquence, dont l’Italie ou Israël souffrent : l’éclatement du spectre politique en quantité de partis, qui, en général, ne peuvent garder le pouvoir qu’au prix d’intenses et parfois vaines négociations entre eux… ou sont renversés dés qu’une de leurs composantes quitte l’alliance ainsi formée.
Dans nos systèmes électoraux, on peut être élu avec une majorité absolue (plus de 50 %) ou relative. Et c’est là où le bât blesse : plusieurs de nos sociétés démocratiques ne font qu’un tour de scrutin (le nôtre : uninominal à un tour) et ne nécessite pas une majorité absolue, qui pourrait être obtenue, comme en France pour élire le président de la République, par un deuxième tour où les citoyens sont finalement appelés à choisir parmi deux candidats seulement, les autres ayant « perdu » à l’issue du premier tour. Ici, au Canada, et au Québec, nous finissons par donner 100 % du pouvoir à des partis qui n’ont parfois récolté que 38 % des votes. C’est le cas de la CAQ. 62 % des électeurs n’ont donc soit pas voté ou voté pour un autre parti. Le vrai groupe majoritaire est donc ce dernier, ce qui ne peut que provoquer mécontentement, rejet d’un système qui ne nous représente pas suffisamment et crise de confiance dans la démocratie représentative.
En bref, les réformes du mode de scrutin sont inévitables en démocratie, parce que nous n’avons pas encore trouvé la formule parfaite, qui offre à la fois la meilleure représentation possible et la stabilité des gouvernements, au moins le temps d’un mandat. Et c’est tout à l’honneur du Parti libéral du Canada de Justin Trudeau ou de la Coalition Avenir Québec de François Legault, de l’avoir admis et même placé dans leur plateforme électorale. La réforme Legault instaurerait un mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire avec listes régionales. Pour faire court, il y aurait plus de proportionnalité et même les petits partis pourraient être représentés, donc toutes les nuances du spectre politique.
Maintenant — et je dis cela plus pour Legault que pour Trudeau, qui a carrément fait un déni de démocratie –, il est temps de livrer la marchandise. Le premier ministre du Québec s’était même entendu avec QS et le PQ en 2018. Or, il y a peu, le Directeur général des élections du Québec (DGEQ) a rappelé que mettre en place le nouveau scrutin pourrait prendre entre 30 et 42 mois. Faites le calcul : si le projet de loi est présenté trop tard, dans les mois qui viennent, alors, nous ne verrons pas la couleur de cette réforme cruciale avant le mandat suivant. Et une fois de plus, la population aura été dupée. Trudeau avait changé d’avis, arguant que les Canadiens ne voulaient plus de changement. La bonhommie et l’assurance tranquille de Legault, quand il annonce qu’il a encore le temps de présenter son projet de loi, serviraient-elles à camoufler une nouvelle reculade?