ÉDITORIAL
On marche à côté de nos shoes
Ce qui me frappe le plus systématiquement, lorsque j’arrive en France depuis quelques années est l’anglomanie. Vous me rétorquerez qu’elle n’est pas nouvelle. C’est vrai. Toutefois, je tiens à le préciser tout de suite : cela n’est pas comparable à l’admiration béate de plusieurs Canadiens pour la monarchie anglaise, la tradition parlementaire britannique. Cette fascination pour l’anglais prend plutôt sa source dans un rapport d’amour-haine vis-à-vis des Étatsuniens.
L’histoire de la relation entre les deux grands chantres des valeurs républicaines remonte à loin. Outre le fait que le continent nord-américain a d’abord été parcouru par des Canadiens français, des premiers temps de la colonisation jusqu’au milieu du XIXe siècle, on connait l’influence des philosophes français sur la pensée politique des Pères fondateurs de l’Indépendance américaine ; et c’est sans compter sur le coup de main financier et matériel militaire à l’époque, qui leur permit de se libérer du joug anglais. Cependant, l’impérialisme américain, au long des cent dernières années n’a eu de cesse de déplaire aux Français, probablement parce qu’il a fait de l’ombre à l’impérialisme français, surtout en matière de culture. Le fait est que la culture nord-américaine s’est mondialisée plus que toute autre avant elle et qu’elle est aujourd’hui la référence à travers la musique, le cinéma, les jeux vidéo. C’est un gros irritant en France, qui, par ailleurs ne peut s’empêcher de fantasmer (comme les autres) sur l’American dream, les grands espaces et tous les trucs cools que les États-Unis produisent industriellement…
Mais alors, cela a pris un virage effarant au cours de la dernière décennie. La compagnie Air France en est un exemple saisissant avec son dernier slogan « Sky is in the air » et sa sky priority pour les clients VIP. L’anglais, déjà omniprésent dans les affaires, la technologie ou les jeux, envahit les rues, sous la forme d’enseignes commerciales. La grande distribution a ses Carrefour market, ses Simply Market (Auchan) ou son Leader Price (Casino); la compagnie nationale de chemin de fer, la SNCF, a développé la marque Ouigo ; les villes, leur slogan en anglais (Magnetic Bordeaux, Only Lyon, Marseille on the move…) ; les médias ne sont pas en reste, qu’ils soient papier (le Summer best est très tendance dans les magazines) ou virtuels, pour faire du Do it yourself, du clubbing ou du cherry picking. La restauration ? N’en parlons pas ! Les burgers sont vraiment à la mode chez les jeunes, où le McDonald le dispute au Burger King ; les food trucks sont florès ; même si on veut manger healthy au final… Pensez que même si le Royaume-Uni est sorti de l’Union européenne avec son Brexit, l’anglais n’en demeure pas moins l’une des langues officielles de l’UE, et de fait la lingua franca.
C’est le monde dans lequel nous vivons. Est-ce irrémédiable ? Non, et pour deux raisons. D’abord, le français reste dans tous les domaines une langue de référence, une des langues les plus parlées, y compris dans les affaires ou la recherche. À nous de continuer à l’utiliser au quotidien et au travail. Ensuite, parce que, à l’image de la société qui l’a produite, une langue apparait, grandit et finit par disparaitre, aussi hégémonique soit-elle. Les grecs, les Romains ou les Égyptiens n’ont-ils pas subi les outrages du temps même s’ils pensaient leur civilisation éternelle ?