ÉDITORIAL
Ménager la chèvre et le chou
Malgré toutes les séries — notamment américaines — que j’ai ingurgité pendant mon enfance, et celles que je regarde encore aujourd’hui, j’avoue que les armes à feu ne font toujours pas partie de ma vie. Toutefois, je peux concevoir que ce ne soit pas le cas de tout le monde. Ici, à Aylmer, où une partie de notre communauté est en partie (et de moins en moins) rurale ; ici, au Québec, où la tradition de la pêche, de la chasse et du chalet reste encore vivace.
S’il est vrai qu’il y a une véritable problématique nord-américaine quant à la violence par arme à feu, une problématique socioculturelle, il faut quand même nuancer les propos. Le Mexique n’est pas le Canada, et encore moins les États-Unis. En moyenne, au Canada, on a compté 1300 décès par balle, chaque année, dans les 25 dernières années, dont près de 80 % de suicides (!). Nous nous plaçons en deçà de 5 décès par balle pour 100 000 habitants, loin derrière la Colombie (55,8), le Brésil (26,9) ou les États-Unis (14).
Alors, oui, certains drames défraient encore la chronique, comme la tuerie de la mosquée de Québec ou le parcours sanglant de Gabriel Wortman en Nouvelle-Écosse, ou plus près de chez nous, les règlements de compte fréquents entre gangs de rue à Ottawa. Et une mort par arme à feu, c’est toujours une mort de trop, un être humain qui disparait et des proches qui vivent dans l’affliction. Il faut faire quelque chose, d’autant plus qu’il n’est pas dans les habitudes et la culture canadienne ou québécoise de posséder des armes de poing ou de guerre. Posséder un fusil de chasse, faire du tir sportif, d’accord. Cependant, ce ne sont pas les chasseurs ou les sportifs qui posent problème ; ils ont déclaré leur arme en toute légalité et, en général, pratiquent dans un cadre réglementaire clair. Le problème est ailleurs…
C’est dans ce contexte que les libéraux de Justin Trudeau, pétris de bons sentiments, ont décidé d’aller de l’avant avec l’une de leurs promesses de campagne : le resserrement de la loi sur la possession d’armes à feu. « Check ! », promesse tenue ! Ils ont ficelé en toute hâte un projet de loi qui, au final, ne convient à personne. Désormais, on pourra saisir n’importe quand une arme à feu sur simple présomption de danger et punir plus sévèrement les détenteurs illégaux. C’est bien et je suis entièrement d’accord. Mais quid des autres mesures, celles qui ont disparu au feuilleton ? Le programme de rachat des armes d’assaut se fera sur une base volontaire ! Pourquoi obtempérer dans ce cas ? Et ce sera aux villes de réglementer « le transport et l’entreposage » des armes à feu, sans pouvoir l’interdire. Comment l’appliquer ? Les coalitions pour le droit aux armes pensent avec raison que l’on tape toujours sur le même clou. Et puis les provinces ont (malheureusement) leur mot à dire, comme la Saskatchewan qui a déjà légiféré pour interdire aux villes toute initiative.
Fait amusant : aucun des partis d’opposition n’a eu le courage de prendre la parole à ce sujet. Si le gouvernement fédéral mettait vraiment ses culottes, il interdirait carrément la possession de certains types d’armes à la grandeur du pays. À vouloir ménager la chèvre et le chou, on les perd tous deux.