ÉDITORIAL
Les leçons de l’Histoire
Je lisais une entrevue récente avec Margaret Atwood, dans laquelle elle expliquait pourquoi La Servante écarlate (et sa suite, Les Testaments) n’était pas de la fantasy, mais plus proche des romans de Jules Verne que de H.G Wells. D’abord, parce que le roman de la double gagnante du Booker prize, repose sur une phrase que l’humanité ne cesse de répéter chaque fois que des catastrophes surviennent : « ça ne peut pas nous arriver » ; et puis parce que l’autrice n’a pour ainsi dire rien inventé, elle a simplement relu l’Histoire de nos sociétés. Et oui, c’est difficile à croire.
En fait, dans la situation extraordinaire que l’on vit aujourd’hui, j’ai la nette impression que nos gouvernements ont été simplement surpris par son impact, un peu comme si l’on était reparti à zéro, sans mémoire de ce qui avait déjà eu lieu par le passé. Franchement, j’hésitais à leur en vouloir : comment auraient-ils pu prévoir les impacts multiples de cette épidémie ? Il aurait fallu se souvenir (vraiment) de la manière dont la grippe espagnole a été vécue à l’époque, dans les années 1918-1920. Et pourtant… On pourrait rétorquer que ce n’est pas la première grande épidémie, ni même pandémie. Connaitre son histoire peut offrir des avantages…
En effet, la première épidémie dont nous ayons trace est la « peste d’Athènes » qui fit des dizaines de milliers de victimes dans la Grèce de Périclès. Et de fait, la peste est la plus célèbre, la plus meurtrière des maladies épidémiques que l’humanité ait jamais connues depuis 2000 ans. Elle disparut au XVIIIe siècle. Derrière elle, la variole, maladie infectieuse virale qui se caractérise par des pustules (« varus » en latin) frappa elle aussi des dizaines de milliers d’eurasiens avant de décimer les autochtones du continent américain (plus de 70 millions de morts, soit 90 % d’entre eux et elles !). Juste retour des choses, les amérindiens firent cadeau aux envahisseurs européens de la syphilis ; cette maladie vénérienne se rendit jusqu’en Asie. Et puis il y eut le choléra, le typhus, la « grippe espagnole », la grippe aviaire, le Sida, le SRAS, Ebola… et en dernier lieu, en 2009, la grippe H1N1, elle aussi classée « pandémie » : 1,4 milliard de personnes touchées ; entre 150 000 et près de 600 000 morts. Dès lors, la question se pose : pourquoi cela n’a-t-il pas servi d’avertissement ?
On pourrait imaginer que les états auraient au moins cherché à améliorer leur temps de réaction en organisant dès le début une grande campagne de dépistage obligatoire et systématique (toujours pas en place, d’ailleurs). Par ailleurs, les coupes répétées, depuis les années 1980, dans le sillage de la grande vague de néolibéralisme qui a touché toutes les formations politiques en Occident, y compris les partis de gauche ou sociodémocrates, ont réduit les systèmes de santé en termes de locaux, d’équipement et de personnel. Et aujourd’hui, nous nous apercevons que nos structures ne peuvent faire face à la crise adéquatement. Il va falloir faire appel à des hôtels pour l’hébergement, à d’autres pays pour les respirateurs et les masques et à la mobilisation de tous les professionnels de la santé à la retraite ou en formation. Quelques cours d’histoire supplémentaires n’auraient pas fait de mal à nos grands décideur-e-s, mais nous-mêmes, sommes-nous prêts à reconsidérer les priorités à venir de notre société?