ÉDITORIAL
Le temps des cathédrales
La semaine dernière je lisais l’article sur la scierie R et T Ritchie, du nom de deux frères qui contribuèrent au développement de la région au tournant du XXe siècle. Leur entreprise était située en lieu et place de la Marina, ici, à Aylmer. Le bâtiment fut détruit par un incendie en 1922 et l’entreprise ferma peu après. Au moment où je lisais le Bulletin, les flammes ravageaient la cathédrale Notre-Dame de Paris. Au-delà des différences (localisation et nature du bâtiment, ampleur du feu, etc.), les deux situations ont un point commun : elles impliquent des constructions symboles du génie humain, qui sont parties en fumée sous l’effet des forces naturelles.
Ainsi, la scierie représentait l’esprit d’entreprise, le génie technologique et le contrôle que l’être humain a déployé depuis des temps immémoriaux sur son environnement. Jusqu’à penser qu’un bâtiment, aussi bien construit soit-il, aussi gros soit-il, pourrait le protéger des « caprices » de mère Nature. Pensez à notre sentiment quotidien d’être protégés par les quatre murs et le toit dont sont faites nos maisons.
Quant à la cathédrale française, elle représente le désir profond de spiritualité, la capacité presque infinie de l’être humain à s’investir corps et âme dans un projet, parfois pendant plusieurs générations, au nom d’un idéal. Jusqu’à croire pouvoir approcher les cieux ou rivaliser avec les dieux.
Cet orgueil proprement humain, contre laquelle les tragédies grecques nous préviennent, était dans l’Antiquité considérée comme l’une de nos tendances profondes… et néfastes, parce qu’elle est synonyme de démesure. On oublie en effet bien vite combien notre vie ne tient en fait qu’à un fil, et que nos créations sont finalement vouées à être oubliées un jour, à disparaître. À l’échelle du temps historique et non du temps humain, bien sûr.
Par exemple, Notre-Dame de Paris. L’histoire de la prestigieuse construction est impressionnante. L’auguste bâtiment, dont la première pierre fut posée en 1163, mesure 130 mètres de long, 48 de large, 35 de haut et peut contenir plus de 6000 personnes! Il fallut 21 hectares de chênes pour sa charpente, 1320 plaques de plomb pour la toiture, soit 210 000 kilos. Des milliers de personnes – hommes et femmes — contribuèrent à son édification : manœuvres, hommes de corvée, apprentis, ouvriers spécialisés, bénévoles, tous dirigés par des maîtres maçons, menuisiers, verriers… Ingénierie hors pair disais-je, des solutions techniques sont trouvées au fil des décennies que dure la construction : faire porter sur des piliers plutôt que sur les murs, d’où la possibilité d’y aménager de hautes et larges fenêtres; voûtes à croisée d’ogives à l’intérieur et arcs-boutants à l’extérieur permettent de répartir le poids des pierres de taille utilisées et de la toiture; invention de la brouette pour transporter les matériaux et de grues, de treuils et même d’une roue appelée « écureuil », actionnée par des hommes qui y marchaient dedans. Tout cela au nom d’une foi profonde qui cherchait s’élever un plus près de Dieu, mais aussi d’un certain orgueil. Tout cela partit en cendres en moins de trois heures.
Peut-être y a-t-il une leçon d’humilité et de respect envers la Nature à tirer, alors que les inondations printanières pointent leur nez dans tout le bassin de l’Outaouais, du Pontiac à Montréal, du côté de la rivière St Anne ou de la rivière Chaudière.