La pénurie de main-d'œuvre en Outaouais touche les entreprises, les employés et les travailleurs migrants
Sophie Demers
Les industries partout au Québec souffrent de la pénurie de main-d’œuvre. Selon un sondage réalisé par Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ), le secteur manufacturier a perdu 18 milliards de dollars au cours des deux dernières années, alors que la majorité des entreprises ont dû refuser des contrats, payer des pénalités de retard ou même réduire leurs activités en raison du manque de travailleurs.
Denis Lavallée, propriétaire d’un Tim Hortons à Aylmer, dit avoir de la difficulté à trouver et à garder des employés. Il explique que cela se produisait déjà avant la pandémie, mais que la situation s’est exacerbée depuis. Par conséquent, certains Tim Hortons d'Aylmer ont fermé leur comptoir intérieur pour ne servir les clients qu’au service au volant.
Le Bulletin s'est entretenu avec Caroline Beaudoin, directrice des finances chez Industries CAMA, une entreprise de construction et de rénovation de l'Outaouais. « Nous avons publié de nombreuses offres d'emploi, mais il est difficile de trouver des candidats qualifiés », a indiqué Mme Beaudoin. « Nos offres sont compétitives pour le marché mais nous sommes une entreprise familiale. Nous avons également des programmes pour étudiants afin de les aider à acquérir de l'expérience et à suivre des cours dans le domaine de la construction, mais nous avons tout de même besoin de gens qualifiés pour les former lorsqu'ils viennent travailler chez nous ».
Selon Wilfried Cordeau, conseiller au service de la recherche à la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), le vieillissement de la population fait en sorte qu’un nombre croissant de personnes quittent le marché du travail, alors qu’un nombre nettement plus faible de personnes y entrent. « Les conditions de travail telles que les horaires atypiques, les congés annuels de courte durée, le statut d'emploi temporaire ou saisonnier, les avantages sociaux médiocres, les faibles perspectives de perfectionnement ou d’avancement professionnel sont peu attrayantes ou ne sont pas propices au maintien en poste des travailleurs qui doivent faire face à la hausse du coût de la vie », explique M. Cordeau.
MEQ, comme bien d’autres acteurs de différents secteurs, estime que le gouvernement du Québec pourrait faire davantage pour pallier le problème de pénurie de main-d’œuvre. MEQ propose plusieurs mesures, notamment une augmentation du nombre de travailleurs étrangers admis, un appui gouvernemental à la formation, une meilleure promotion du secteur manufacturier et un soutien financier accru pour l'automatisation et la robotisation.
Le gouvernement du Québec a récemment annoncé des assouplissements au Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET), dans la foulée d’une entente conclue avec Ottawa visant à combler le manque criant de travailleurs dans la province. L’entente a notamment permis aux employeurs québécois de doubler le nombre de travailleurs étrangers embauchés par lieu de travail – faisant passer le seuil de 10 à 20 % en ce qui concerne les postes à bas salaire, dans des secteurs économiques donnés.
Bien que cette solution soit largement soutenue par les entreprises en difficulté, Eugénie Depatie-Pelletier, directrice générale de l'Association pour la défense des droits du personnel domestique de maison et de ferme, estime que ce n’est pas la solution la plus équitable.
« Il existe une solution de rechange à la main-d’œuvre non libre pour combler les besoins de personnel. Il est possible de faire venir des travailleurs migrants qui ne sont pas contrôlés ou rendus vulnérables par leur employeur », dit Mme Depatie-Pelletier. « Le fait de refuser d’emblée l’accès au statut permanent dès l’arrivée est un assaut à la dignité humaine ».
Elle explique que le PTET lie les travailleurs migrants à un employeur spécifique, ce qui place les travailleurs dans une situation précaire. L'obtention d'un permis de travail peut coûter des milliers de dollars, ce qui signifie que les travailleurs migrants contractent une dette envers leur employeur. En outre, l'employeur est responsable de parrainer le travailleur dans l'obtention du statut permanent après des années de travail, ce qui accroît considérablement le risque d’abus. Comme les travailleurs migrants ont un accès limité à la justice en cas de violation de leurs droits au Canada, ils n’osent pas quitter un emploi dont les conditions de travail sont médiocres de peur de compromettre leur accès à la résidence permanente, d’être renvoyés dans leur pays d’origine ou de perdre un revenu important.
Trad. : MET