ÉDITORIAL
La mort lente des relations humaines
N’avez-vous pas de plus en plus souvent un sentiment d’irréalité votre vie quotidienne ? Pour moi, la meilleure illustration en est la banque. Ou plutôt ce que l’on appelle aujourd’hui les « services bancaires » ! D’ailleurs le changement de nom n’est pas anodin : la banque était (est ?) un lieu physique, habité par des personnes réelles, concrètes ; le service, lui, peut-être donné par une personne au guichet ou au téléphone certes, mais également par un guichet automatique ou en ligne, par une simple manipulation à partir d’une application.
Le glissement s’est fait progressivement, mais la réalité d’aujourd’hui est que la plupart d’entre nous effectuent ses opérations en ligne via le téléphone mobile ou l’ordinateur. Et on dirait que nous nous en accommodons en tant que société. Pourtant combien de fois dans la dernière année nous sommes-nous retrouvés coincés dans une opération bancaire, dans une transaction financière, sans pouvoir régler le problème ? Et là, personne à qui parler ! Ah ! Si, il est toujours possible de 1) aller sur la page internet d’assistance pour clavarder « en direct », en fait avec un robot, au mieux avec un employé qui, si par malheur la connexion coupe, n’est plus le même, et dans ce cas, vous devez tout réexpliquer depuis le début ; le tout prend une éternité, car la vitesse de saisie au clavier est moins rapide que si l’on parlait 2) téléphoner et passer par… un autre robot ou un serveur automatique qui vous offre des choix à répétitions, à coup de « tapez 1 si vous êtes… », « tapez 2, si vous voulez… » ; on n’en finit plus dans ce dédale avant de parler effectivement à une personne, si bien que l’on finit par appuyer sur 0, 9 ou * en espérant tomber sur une voix humaine ! Avouez que j’exagère à peine.
Dans ce système, censé nous simplifier la vie, on dirait que le client devient finalement secondaire. Or qu’en est-il de la relation client au cœur du service justement ? Dans les banques, si vous y ajoutez la rotation permanente du personnel, pour des raisons qu’aucun employé ni directeur n’a jamais pu justifier clairement, alors cela peut devenir une véritable épreuve de fond. Imaginez, depuis 17 ans que je suis au Canada et avec la RBC, combien de fois j’ai dû réexpliquer mon cas. Oui, je reçois des chèques en euros quelquefois par an, cadeaux de ma famille en France à l’occasion de l’anniversaire de mes filles ou pour Noël… Non, ce ne sont pas de grosses sommes… Attention, il y a une note au dossier normalement, afin que la retenue habituelle de trois semaines ne soit pas appliquée, puisque l’opération est la même depuis tant de temps… c’est une routine, on nous connait, nous sommes de fidèles clients… « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage », dois-je sans cesse me rappeler (merci La Fontaine !). Le pire est que ce ne serait pas mieux ailleurs.
Pour une consultation médicale ou apprendre, pour acheter un titre de transport ou faire notre épicerie, la CoVid-19 n’a fait qu’accélérer ce mouvement général de « déréalisation » de services quasi quotidiens, comme si l’on pouvait médiatiser nos relations (personnelles, commerciales) par le numérique. Quid de la rencontre de deux corps, de deux énergies et de la perception des émotions ? En quoi croyons-nous ? Que sommes-nous devenus ?