ÉDITORIAL
La littérature (française) à l’honneur !
Et oui, il arrive parfois qu’au-delà des paroles creuses que l’on entend de-ci de-là sur l’importance du français, sur la nécessité de le soutenir, par une rénovation de la loi sur les langues officielles (au Canada) ou de la loi 101 (au Québec), il arrive alors que des actes forts consacrent la langue de Corneille, de Rostand et de Miron comme langue universelle. Décerner le prix Nobel de littérature à une écrivaine française en est un sacré !
Mais revenons d’abord sur le processus qui conduit à ce résultat pour mieux en comprendre la portée. Chaque année depuis 1901, en mémoire d’Alfred Nobel qui créa l’Académie du même nom, on remet un prix à cinq personnes (ou groupes) ayant rendu service à l’humanité dans cinq disciplines : paix, littérature, chimie, médecine et physique ; celui d’économie, créé en 1968, est le seul qui ne figurait pas dans le testament de l’illustre Suédois. Les lauréats sont annoncés en octobre et reçoivent leur prix (environ 870 000 euros chacun) en janvier.
Cependant, ils doivent respecter plusieurs critères pour y être éligibles. Déjà, contrairement à l’Académie française, personne ne peut se présenter soi-même, les candidatures proviennent de diverses académies dans le monde, de figures reconnues, de personnalités qualifiées dans leur domaine. Les candidatures sont ensuite sélectionnées une première fois par un comité spécial composé de cinq académiciens aidés par des conseillers et des experts internationaux, et élus pour trois ans. Avant l’été, cinq noms ressortent de ce tri dans chaque discipline. Les mois suivants sont occupés à la lecture en profondeur de leurs œuvres. Après une dernière rencontre mi-septembre, le vote est organisé ; la décision est prise à la majorité des voix. L’âge, l’origine géographique et le sexe n’y font rien théoriquement, mais évidemment, depuis sa création, une majorité d’homme blancs anglophones ont reçu le Nobel. Les choses ont changé depuis 2018, suite à un scandale qui a forcé l’Académie à revoir ses critères de sélection. Malgré tout, recevoir ce prix équivaut encore à une reconnaissance prestigieuse, à une consécration : l’œuvre primée doit se démarquer par son ampleur, son style unique et parce qu’elle « fait preuve d’un puissant idéal ».
Après le romancier anglais d’origine tanzanienne Abdulrazak Gurnah et la poétesse américaine Louise Glück, cette année, la Française Annie Ernaux s’est vue récompensée « pour le courage et l’acuité clinique avec lesquels elle met au jour les racines, les éloignements et les contraintes de la mémoire personnelle ». Elle aborde les thèmes de la mémoire, mais aussi des rapports de domination sociale, des femmes. On parle ici du genre autobiographique, qui touche à l’universel à travers le particulier. Un tour de force, dans ce qu’elle nomme une « autobiographie impersonnelle ». Contradictoire ? Assurément. Sa perspective est iconoclaste, tout à fait particulière. Elle le dit elle-même : « Pour moi, chaque mot doit avoir la lourdeur du vécu. Je recherche la densité des mots […] J’essaie de justement de déjouer tout ce langage qui classe et hiérarchise. ». Elle est la seizième Française à recevoir le prix Nobel, et la dix-septième femme. Son premier succès international ? Les Années (Gallimard, 2008). Son dernier roman ? Le Jeune Homme (Gallimard, 2022).
Au-delà de la nationalité de la récipiendaire du Nobel de littérature, qui a tout pour nous rendre fiers en tant que francophones, c’est surtout une victoire de la littérature elle-même.