ÉDITORIAL
La bêtise humaine est sans limite
(et son génie aussi)
Pouvez-vous croire que je m’apprêtais à écrire un éditorial sur le code vestimentaire comparé des élus québécois, canadiens et français, quand la nouvelle est tombée de la tentative d’assassinat contre Salman Rushdie ? Et oui, l’été, sous le soleil, au bord de la piscine ou sur la plage, on se surprend à aborder des sujets superficiels… Mais revenons au choc du jour !
Rappel pour les « jeunes lecteurs » (qui avaient moins de 15 ans en 1988) : Salman Rushdie, écrivain d’origine indienne, a publié en 1988 un roman intitulé Les Versets sataniques, qui narre l’histoire de deux Indiens, seuls survivants d’un attentat terroriste dans l’avion qui les mène à Londres et qui sont soupçonnés d’être des clandestins… Le lecteur suit leur trajectoire qui mêle habilement faits réels, fictifs, références autobiographiques, éléments inspirés de la vie du prophète Mahomet ; on se balade entre Inde et Angleterre, le réel et l’imaginaire, le passé et le présent. Un vrai travail littéraire pour un grand roman, mais rien de plus. Sauf que deux chapitres relatent les rêves de nos deux héros migrants et évoquent une dispute théologique : certains versets du Coran auraient été inspirés par Satan à Mahomet, dans lesquels le prophète aurait reconnu l’existence d’autres divinités qu’Allah ; ces quelques versets auraient été ensuite retirés du livre sacré des musulmans. Info ou intox ?
Dès février 1989, quelques nigauds fondamentalistes iraniens, dirigés par le fameux Ayatollah Khomeiny, publièrent une fatwa, c’est-à-dire une décision religieuse, une opinion savante en droit musulman. Déjà, quand on connait les différends au sein de l’Islam, entre chiites et sunnites par exemple, ou la pléthore de courants, on se doute que cet avis par une « autorité reconnue » iranienne ne fit pas l’unanimité parmi les musulmans. Il n’en reste pas moins que la fatwa fut relayée et non dénoncée par pas mal d’autres nigauds (pas forcément radicaux) dans le monde, et dont le silence fit d’eux des complices.
Depuis, et après une vingtaine de tentatives de meurtre, l’auteur désormais américain a été poignardé la semaine dernière pas moins de dix à quinze fois, lors d’une conférence dans l’état de New York. La fatwa date de 33 ans ! Toute une vie à ruminer sur le caractère démoniaque de Rushdie et sa faute incommensurable, un blasphème qui ne peut mériter que la mort ! Oh, les gars, nous sommes en 2023, pas au VIIe siècle ! On se mettrait presque à douter du concept de progrès ! Bon, OK, la Shahada, le premier pilier de l’Islam (la profession de foi) de tout musulman, commence par « Nul ne mérite d’être adoré à part Dieu (Allah) ». Cette formule est répétée cinq fois par jour, lors des cinq prières recommandées. Les dire juste avant de mourir garantit même le paradis !
Ah, oui, détail important : « Allah » est à la fois l’équivalent d’Élohim (dans l’Ancien Testament), mais aussi celui de Yahvé, son nom personnel dans le judaïsme ; cela signifie littéralement « la seule véritable divinité digne d’être adorée ». Pas une invitation à l’ouverture d’esprit et à la tolérance, dès le départ… Enfin, comment expliquer autrement le silence des autorités musulmanes de par le monde, et vis-à-vis de la fatwa contre Les Versets sataniques et contre l’acte terroriste du jeune américain de 24 ans ? Le combat contre l’obscurantisme est plus que jamais nécessaire.