ÉDITORIAL
L’habit de l’emploi
Je ne sais pas si je dois traiter le sujet à la légère… D’un côté, on dit bien que « l’habit ne fait pas le moine » ; d’un autre, avouons que notre rapport à l’autre au quotidien est conditionné par les apparences. Il suffit d’observer notre attachement à la mode. Même dans nos milieux de travail, il ne suffit pas d’avoir les compétences ou la tête de l’emploi, encore faut-il avoir les vêtements qui vont avec.
Catherine Dorion en sait quelque chose. Nous pourrions discuter sans fin des raisons pour lesquelles la députée de Québec solidaire s’entête à se rendre en chambre, non pas en tailleur, comme il serait de bon ton, mais avec les tenues les plus provocatrices qui soient. Pensez : un hoodie (ou coton ouaté), une tuque, un t-shirt ou des chaussures Doc Martens ! Et en plus dans des couleurs comme l’orange. Or le code vestimentaire de l’Assemblée nationale est flou quant aux tenues convenables ou pas, et ses « règles » découlent davantage de l’usage. Alors Mme Dorion est-elle pour autant une représentante du peuple au rabais ? Travaille-t-elle moins bien?
Une chose est sûre : elle est une femme — on connait la misogynie systématique de ce milieu : plusieurs députées, telle Christine Labrie, en ont encore fait état récemment. Certains avancent, à juste titre, que lorsque les idées d’une femme dérangent, on s’attaque à ce qu’elle porte, à son apparence, une manière de la ramener à un simple corps.
Plus largement, cela pose la question du choix de notre tenue vestimentaire en société et des règles en vigueur, qui, pour l’essentiel, ont été mises en place par des hommes blancs au pouvoir, venant de domaines plus conservateurs, comme le droit, la finance, l’économie ou la politique. Oui, les règlements vestimentaires découlent clairement de stéréotypes de genre, de classe sociale ou de groupes ethniques. Autre exemple, les artistes Safia Nolin et Loud au gala de l’ADISQ : l’une, en t-shirt et veste de laine, a déclenché une polémique, l’autre, en coton ouaté, n’a suscité aucun commentaire.
Et puis que signifie au fond « être bien/mal habillé » ? Pendant l’entre-deux-guerres, le même tailleur qu’il est reproché — par conformisme — à Mme Dorion de ne pas porter, fut un signe d’émancipation ; Coco Chanel a ainsi libéré le corps des femmes et leur a permis d’accéder au travail. Mais l’idée que pour bien jouer son rôle social et professionnel, il faut être « bien » habillé fait long feu. Porter un veston-cravate ne signifie pas être plus compétent, loin s’en faut.
De toute façon, même cette tenue symbole de pouvoir change. Le costume des hommes occidentaux évolue peu, à cause d’une grande et très ancienne résistance. Pensez que nos ancêtres des XVIIe et XVIIIe siècles en étaient déjà à porter une « culotte » (sorte de « pantacourt ») attachée par une ceinture, assortie d’une veste. À la couleur et à la dentelle vont succéder les teintes sombres et le costume du bourgeois au XIXe siècle, incluant gilet et cravate. L’avènement des sports-loisirs dans les années 1920 nécessite des tenues plus lâches. Cependant, le costume renait de ses cendres et s’adapte. Aujourd’hui le pull-over sous la veste, est tendance, mais cela ne change pas fondamentalement la tenue. C’est donc le changement dans la continuité, contre lequel il ne fait pas bon s’élever. A fortiori lorsqu’on est une femme.