Projet de loi 96
L'amendement libéral au projet de loi 96 aura de graves répercussions sur les étudiants anglophones du postsecondaire
Sophie Demers
À la fin du mois de mars, les libéraux du Québec ont proposé un amendement au très controversé projet de loi 96, afin de contraindre les étudiants anglophones du réseau collégial à suivre au moins trois cours donnés en français pour obtenir leur diplôme d’études collégiales. Le projet de loi 96 visait également à plafonner le nombre d’admissions d’élèves francophones dans les collèges anglophones, et ce, sans égard à la croissance démographique.
Devant la ferme opposition du réseau scolaire, des établissements d’enseignement postsecondaire et des parents, les libéraux ont tenté de retirer l’amendement, ce qui n'a pas été accepté par les autres partis.
Plafonner le nombre de places dans les collèges anglophones limitera la capacité des établissements à offrir certains programmes et à répondre aux pénuries de main-d'œuvre dans les régions du Québec. Il limitera également, pour les étudiants de langue française, l'accès aux collèges anglophones.
Le projet de loi 96 touche aussi les étudiants étrangers, car il limite leur capacité d’accéder à l'école anglophone à seulement trois ans. Il élimine pour ces étudiants la possibilité de renouveler leur inscription pour des années supplémentaires d'enseignement en anglais.
Les libéraux du Québec n'ont pas consulté les cégeps, les experts en éducation ou les commissions scolaires avant de proposer l’amendement.
Plus tôt cette année, le Parti libéral du Québec a dévoilé ses cinq principes fondamentaux, dont deux qu’il n’a pas respectés dans son amendement. Le quatrième principe stipule notamment que « les communautés d’expression anglaise ont des droits qu’il faut protéger. L’accès à des services publics en anglais pour ces citoyens québécois ne saurait être une menace à la situation du français au Québec ».
Le cinquième principe fondamental du Parti libéral du Québec réside dans l'importance du libre choix pour les étudiantes et les étudiants de leur établissement d’enseignement supérieur. Le site Web du parti indique ce qui suit : « Nous devons préserver l'équilibre entre l'accessibilité a pour la communauté anglophone à ses institutions, et la possibilité pour les francophones de fréquenter l’établissement de leur choix (…) ».
De nombreuses personnes étaient préoccupées par l’obligation de suivre trois cours donnés en français. « Apprendre le français et apprendre en français sont deux choses très différentes », a dit Wayne Daly, président de la Commission scolaire Western Québec (CSWQ).
« Le projet de loi 96 sera préjudiciable à nos étudiants, à tous les collèges anglophones, à nos communautés et au Québec dans son ensemble. Le projet de loi limitera la capacité des collèges anglophones à répondre aux besoins de nos étudiants et des régions que nous desservons », a déclaré Nancy Beattie, directrice du Collège Champlain, un établissement anglophone à l'extérieur de Montréal, lors de la conférence de presse du Quebec Community Groups Network (QCGN). « Le projet de loi 96 met clairement en péril la réussite des étudiants ».
Le 27 avril, l'amendement a été modifié par le Parti libéral de sorte que les étudiants anglophones de niveau postsecondaire ne seront pas contraints de suivre trois cours donnés en français, mais devront remplacer certains de leurs cours par des cours de langue française.
Les étudiants anglophones du réseau collégial devront désormais suivre trois cours de français supplémentaires. Ces cours s'ajoutent aux deux cours de français langue seconde déjà obligatoires pour ces étudiants.
Les programmes préuniversitaires au niveau collégial sont habituellement de quatre semestres. Les trois cours de français remplaceront d'autres cours qui sont requis pour le programme d’études auquel l'étudiant est inscrit. Les étudiants anglophones auront la possibilité de suivre trois cours de base en français à la place.
L'option d'ajouter trois cours supplémentaires en français n'est disponible que pour les étudiants ayant été autorisés à étudier en anglais au primaire et au secondaire. Les élèves non admissibles, comme les francophones et les allophones, devront suivre trois cours de base en français.
Les éducateurs s'inquiètent beaucoup de la façon dont cette mesure sera mise en œuvre compte tenu de la pénurie d'enseignants, en particulier de la grave pénurie d'enseignants de français, des pertes d'emploi potentielles des enseignants d'anglais, des élèves ayant des besoins particuliers et des élèves qui ne sont absolument pas préparés à ce changement.
« Le français est souvent désigné comme la langue seconde, mais pour une partie de notre population étudiante, pour nos étudiants autochtones, le français est leur troisième langue. Le succès de ces membres de la population étudiante a été complètement ignoré avec ce projet de loi », estime Mme Beattie.
M. Daly a fait remarquer que, bien que des correctifs aient été apportés à une petite part des problèmes observés, la mise en œuvre demeure une préoccupation : « Le changement est ambigu et nous ne savons toujours pas comment il sera mis en œuvre. Pourquoi les étudiants anglophones doivent-ils suivre autant de cours supplémentaires? », se demande-t-il. « Ils n’ont toujours pas consulté les commissions scolaires ni les éducateurs. Ils font de la politique avec les droits des anglophones et l'éducation des étudiants pour obtenir plus de votes; ce n'est pas bien ».
Les experts en éducation ont exprimé leur inquiétude quant à l'amendement libéral et à d'autres aspects du projet de loi 96 ayant trait aux élèves ayant des besoins spéciaux et aux mesures de soutien. Stephanie Michaud, francophone et mère d'un enfant ayant des besoins spéciaux, a entamé l'éducation de sa fille dans le système francophone. Après le diagnostic d'autisme de sa fille, elle a constaté que l'approche du système francophone à l'égard des enfants ayant des besoins spéciaux laissait à désirer. « J'ai décidé de me tourner vers la CSWQ, qui met de l’avant une approche inclusive et universelle, par exemple en fournissant une aide supplémentaire dans une salle de classe régulière. Je n'ai aucune idée de ce que ce projet de loi signifiera pour elle. Seront-ils exclus (les besoins spéciaux)? Le manque de consultation avec notre communauté est simplement le reflet de l’approche isolationniste qui est bien ancrée dans de nombreuses institutions québécoises (commissions scolaires francophones et système de santé) lorsqu'il s'agit de la communauté autiste du Québec ». Le projet de loi plafonne également le nombre d'étudiants qui peuvent accéder aux CEGEPS anglais, indépendamment de la croissance démographique.