ÉDITORIAL
Kwe Kwe
Dans mon dernier roman, Mystères à Natagamau —Sur la voie du sang, j’illustre la réponse que certains membres des Premières Nations ont envisagée parfois pour faire entendre leurs revendications, alors que les gouvernements des blancs les écoutaient avec de grands yeux humides et un air compatissant… mais rien de plus. Cette solution extrême, c’est la violence armée. Elle est compréhensible. Après tout, que reste-t-il après des décennies de palabres sans aucun véritable progrès? L’histoire de l’humanité n’a-t-elle pas aussi avancé à coup de révolution?
Aujourd’hui, estimons-nous heureux que les autochtones aient seulement érigé des barricades en travers des voies ferrées; qu’ils aient choisi d’agir sans violence. Opter pour la désobéissance civile est courageux, parce que l’on s’interdit de répondre à la violence que l’on nous fait. Par contre, on peut être intelligent en tapant (métaphoriquement) là où ça fait mal : l’impact économique du blocage des trains entre l’est et l’ouest du Canada est palpable. On s’attaque à l’économie, donc aux « gros argents » et aussi en bout de chaîne commerciale à nos porte-monnaie. Et malheureusement, cela semble fonctionner.
Combien de Canadiens, vous peut-être, trouvent l’initiative autochtone exagérée et sans fondement? Plus que l’on ne croit. Mais il n’est pas de bon ton de pester contre eux en public. Ce n’est pas politiquement correct. Alors, on garde les remarques pour les discussions de famille, ou entre collègues proches. Beaucoup considèrent encore les autochtones comme des assistés chroniques, intoxiqués et paresseux. Oui, le racisme sous-jacent dans notre société est omniprésent.
Ce qui est certain, c’est que les chefs traditionnels Wet’suwet’en n’en démordent pas : ils commenceront les négociations avec les gouvernements lorsque la GRC sera sortie de leur territoire (où elle n’a pas juridiction au fond, puisque ce sont des terres non cédées) et le retrait du projet de gazoduc Coastal GasLink effectif. C’est simple. Évidemment, nous pourrions nuancer, pérorer, contre-attaquer : « Mais ce n’est pas un oléoduc, c’est du gaz, donc pas de risque de déversement »; « Les conseils de bande, élus, eux, ont accepté, ce n’est qu’une minorité extrémiste qui s’exprime »; « Cela provoque des mises à pied, l’économie doit tourner, c’est l’intérêt de tous finalement », etc.
Outre le fait que l’on devrait les remercier d’avoir fait ce que nous ne sommes pas capables de faire — nous tenir droits pour empêcher l’exploitation des énergies fossiles au pays — le fond du problème n’est pas là en ce qui les concerne. Le problème est que les relations avec les Premières Nations sont encore régies par la Loi sur les Indiens (dont le nom dit beaucoup), un texte rédigé par des colons racistes des années 1860. Depuis, des dizaines de tribunaux ont ordonné au gouvernement fédéral de rendre des terres extorquées aux Amérindiens et de reconnaître simplement leurs droits les plus fondamentaux, y compris en matière de consultation. Le Canada continue de bafouer en toute illégalité les droits des premiers habitants du continent.
Cette loi doit donc à l’évidence être changée, modernisée. Mais non, montons plutôt des commissions d’enquête qui ne mènent à rien, lançons-nous avec vigueur dans des discussions entre ministres, puis allons courageusement discuter avec les chefs. Au Canada, comme pour la Constitution, les textes de loi datant des débuts de la Confédération sont intouchables. On voudrait changer avec notre temps sans les changer, eux. Aveuglement naïf ou hypocrisie insultante?