Immersion française et français langue seconde
Il manquerait environ 10 000 enseignants au Canada
L’Association canadienne des professionnels de l’immersion (ACPI) et l’Association canadienne des professeurs de langues secondes (ACPLS) ont récemment dévoilé les résultats d’une étude qu’ils ont menée conjointement, entre décembre 2020 et août 2021, en vue de documenter et de brosser un portrait réel de la pénurie du personnel enseignant en immersion française (IF) et en français langue seconde (FLS) à l’échelle du pays.
Lors de la consultation pancanadienne de l’ACPI en 2017, la pénurie de personnel enseignant qualifié en IF/FLS avait été reconnue comme un enjeu majeur au pays par 70 % des participants. Cette constatation rejoignait les conclusions d’une étude menée en 2015 par l’ACPLS, laquelle faisait état d’une pénurie d’enseignants qualifiés dans les programmes de FLS. Il était évident pour tout le monde que la pénurie était bien réelle, mais personne ne connaissait la véritable ampleur de la situation puisqu’il n’existait aucune donnée à cet égard.
L’ACPI et l’ACPLS ont entrepris de se pencher elles-mêmes sur la situation afin de pallier l’absence de données pancanadiennes en la matière, qui rendait impossible toute tentative de chiffrer la pénurie actuelle, ou d’établir des projections pour les années à venir. Réalisée avec l’appui financier du ministère du Patrimoine canadien, l’étude s’appuie sur une revue des écrits, des entrevues et une enquête par questionnaire en ligne. Les réponses obtenues représentent 934 écoles situées dans l’ensemble des provinces et des territoires du Canada.
L’étude exhaustive menée par l’ACPI et l’ACPLS sur la pénurie du personnel enseignant en IF/FLS permet enfin de documenter l’état actuel de la pénurie du personnel enseignant, d’élaborer des mesures ciblées et appropriées pour y remédier et, ultérieurement, de mesurer l’efficacité des initiatives mises sur pied. L’étude est donc fondamentale à la stratégie de recrutement et de maintien en poste du personnel enseignant en IF/FLS.
« Cette étude est essentielle pour bien saisir l'ampleur des défis associés à la pénurie d'enseignants en IF ou en FLS au Canada », affirme Carole Bonin, présidente de l’ACPLS. « Les résultats nous aideront à planifier un avenir où tous les enfants canadiens pourront avoir accès à des programmes de qualité pour maîtriser la langue française de façon durable. Il incombe à tous les intervenants représentant l’enseignement des langues secondes d'agir de façon stratégique pour remédier à cette pénurie chronique ».
Selon l’état de la situation présenté dans l’étude, sur les 2 106 écoles canadiennes qui offrent un programme en IF, 42 % d’entre elles sont actuellement en situation de pénurie de personnel enseignant pour leur programme. On estime ainsi qu’il manque de 1 000 à 1 400 enseignants équivalent temps plein (ETP) en IF au pays. Dans le cas des écoles qui offrent d’autres programmes de FLS, le tiers (36 %) d’entre elles affirment être touchées par la pénurie. Ainsi, dans les 10 630 écoles de langue anglaise au Canada, on estime qu’il manque de 7 000 à 8 000 enseignants ETP en FLS .
Au total, le Canada aurait donc besoin de 10 000 enseignants francophones qualifiés pour être en mesure de répondre à la demande actuelle en IF et en FLS.
Selon l’étude, cette situation s’explique notamment par la hausse fulgurante des inscriptions en immersion francophone, qui sont passées de 283 000 en 1998 à 478 000 en 2019.
« Le bilinguisme est de plus en plus valorisé dans les familles canadiennes, et cela se traduit par une popularité croissante des programmes d’immersion française au pays », a indiqué Caroline Roux, présidente de l’ACPI.
Toutefois, le scénario est différent dans les écoles offrant des programmes de FLS; alors qu’en 1991, 2,1 millions d’élèves étaient inscrits à ces programmes, ils n’étaient plus que 1,7 million en 2019. Cette baisse pourrait justement s’expliquer par le manque d’enseignants disponibles.
L’étude nous apprend que 51 % des écoles situées en zone rurale sont touchées par la pénurie d’enseignants, contre 40 % des écoles en zone urbaine. Le rapport explique cet écart par l’isolement géographique et culturel : il n’est pas rare que les enseignants en IF/FLS se sentent isolés, car ils évoluent la plupart du temps dans un contexte culturel où le français est peu présent, et où les occasions d’entendre, de lire ou de parler leur langue sont très rares.
Un grand nombre d’enseignants en IF/FLS dénoncent le manque de valorisation de leur emploi. Certains ont fait savoir qu’ils ne se sentent pas traités comme de « vrais enseignants » par les administrations des écoles ou des conseils scolaires. Ils se verraient souvent offrir des « miettes de contrats », avec des charges réparties entre plusieurs écoles, sans possibilité de développement professionnel.
À titre d’exemple, les ressources pédagogiques en IF viennent souvent à manquer; lorsque cela se produit, les enseignants n’ont guère d’autre choix que de les produire eux-mêmes. « Les enseignants en IF sont gérés par des conseils scolaires anglophones », explique Chantal Bourbonnais, directrice générale de l’ACPI. « Par conséquent, il arrive fréquemment que l’école néglige de mettre à leur disposition les outils pédagogiques nécessaires à l’apprentissage des élèves. Dans ces cas, l’enseignant se voit obligé de traduire ou d’adapter les ressources qu’il aura réussi à trouver ».
Pour les associations concernées, plusieurs mesures devront être mises en place dans le futur en vue de revaloriser la profession, d’améliorer le recrutement et d’appuyer davantage les enseignants et les directions d’école, entre autres.
Ce sont près de 9 % des 10 630 écoles de langue anglaise au Canada qui sont représentées dans cette étude.