Il arrive quoi après le Camino?
Lâcher sa job, changer de nom, divorcer, se marier, faire un ‘coming out’, tout vendre, méditer à cœur de jour ou être dans un état de zennitude permanente…Compostelle, le Chemin.
Avant d’entreprendre cette aventure, j’avais entendu toutes sortes d’histoires, souvent de gens qui connaissaient quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui en était revenu complètement transformé, plus du tout comme avant – changement de vie, changement de nom, etc. Depuis mon retour, on me pose des questions : As-tu changé? Qu’est-ce que ça t’a apporté? As-tu vécu un moment d’illumination? Le referais-tu? Plein de questions et je comprends. Ce Chemin de Compostelle est intriguant. De plus en plus de gens le parcourent, 800 km pour plusieurs, encore plus pour d’autres. Qu’y trouvent-ils? Y a-t-il là réponse à un certain mal être ou à une certaine quête qui habite la majorité d’entre nous? Je vois cette interrogation dans les yeux de ceux qui osent la laisser paraître. Le monde à son plus beau. Le monde qui ne sait pas, le monde qui se pose des questions, le monde qui cherche, le monde qui s’intéresse aux découvertes de l’autre…
À chacun son chemin. Éric, propriétaire de l’auberge Le chemin de l’étoile à Saint-Jean-Pied-de-Port, est très théâtral. Après le repas du soir, Éric se lève et prend parole. Conseils, anecdotes, météo du lendemain, rappel de prudence et surtout : « C’est VOTRE chemin, vous comprenez, VOTRE chemin et celui de personne d’autre. Vous le faites comme VOUS le voulez, comme VOUS le sentez. » Et il poursuit ainsi comme s’il était sur une grande scène. On se regarde les uns et les autres, on sourit, on se fait des grands yeux, on se demande ce qui nous attend, on ne dit rien. Puis on éclate de rire.
En chemin, je vais réfléchir à ci ou à ça… c’est ce que plusieurs s’étaient dits, moi aussi. Bien sûr, on s’imagine qu’on aura le temps, enfin, de réfléchir. Beaucoup de temps. C’est en partie vrai. Toutefois, la réflexion prévue concernait le passé ou le futur. Or dès le jour 1, il n’y a pas de passé, ni de futur, il n’y a que le maintenant. Fébrilité. Sac à dos bien ajusté. Passeport et cartes de crédit bien rangés. Les Pyrénées devant soi. Go!
Après on est dans l’épreuve physique, on ne réfléchit pas à ce qu’on devrait faire dans la vie, à comment régler tel problème ou telle situation. On est, malgré soi, dans le moment présent : surveiller son pas pour ne pas trébucher, boire de l’eau, trouver une baguette et un morceau de saucisson, avancer jusqu’à un refuge, laver ses quelques vêtements, figurer comment fonctionne la douche, inspecter ses pieds… Souper, dormir et demain ça recommence.
Au bout de 3 ou 4 semaines on se dit : « Hum, à quoi je voulais réfléchir donc? » Pour ma part, je ne m’en souvenais plus trop, c’était flou et ça n’avais plus d’importance. Je découvrais le « maintenant », rien avant, rien après. Tout ce que la vie demande de nous c’est d’accepter de respirer, d’avancer peu importe la direction et d’être ouvert à ce qui se présente, mais de respirer. Dans la vie de tous les jours, on ne respire pas vraiment. Peur de mourir, on retient notre souffle. Sur le Camino, ce n’est pas la « vie de tous les jours », disons. On respire par la force des choses. Ça donne un aperçu, toutefois, de ce que pourrait être une autre vie de tous les jours. Ça présente des possibles qu’on pensait peut-être impossibles.
En parler à son retour? Pas sure. Les commentaires passent vite à « Là, il ne faut pas être impulsive, il faut être raisonnable, il ne faut pas tout balancer, donne-toi du temps (du temps? Bâzouelle, comme si toute une vie n’avait pas été assez de temps!)… »
Au fait, ce que disait Éric (le savait-il?) : « C’est VOTRE vie, vous comprenez, VOTRE vie et celle de personne d’autre. Vous la vivez comme VOUS le voulez, comme VOUS la sentez. »
Je reviens comment, alors? Changée? Oui et non. Au fil des kilomètres se sont installées des confirmations. C’est au fil des jours post-Camino qu’elles s’imposent. J’écris cette chronique alors que je suis au pays des baleines sans internet. Je ne peux donc pas vérifier l’histoire exacte de l’Alchimiste (de Paulo Cohelo) qui me vient à l’esprit. Il cherchait sa légende personnelle; il me semble qu’il a fini par payer tout ce qu’il avait pour obtenir des réponses qu’il connaissait déjà.
Carolle Bertrand est native d’Aylmer – chanteuse/musicienne, artiste visuelle, chroniqueuse. Pour en savoir plus et pour lire les chroniques précédentes, visitez son espace sur le Web http://carollebertrand.canalblog.com.
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