En direct du pays des baleines
Je suis installée au restaurant Le Bouleau, route 138, aux Escoumins pour écrire ce matin. La vue est magnifique, journée ensoleillée et le fleuve couvert d’un épais manteau de brouillard à travers lequel le soleil réussit à percer. Tu t’en doutais sûrement et attendais des nouvelles du pays des baleines, comme à chaque mois d’août. Alors oui, j’y suis, camping Paradis marin (Bergeronnes, Côte-Nord), fidèle au rendez-vous, à la quête, à l’appel des profondeurs et du mystère.
Je suis ici « chez nous » — les rochers sur lesquels je m’installe n’ont pas bougé, le fleuve a toujours la même splendeur, la voie lactée et les millions d’étoiles éclairent encore les nuits. C’est l’activité des baleines qui fait qu’à chaque année c’est différent.
Les grosses se font rares
Le Paradis marin attend toujours les grosses baleines, elles se font rares cette année, à date, même les petits rorquals sont moins nombreux. Une bleue serait passée en juillet. Deux gros communs nous ont salués la semaine dernière d’un souffle toujours aussi impressionnant. Les rumeurs courent sur le site. Certains di-sent que c’est à cause d’une famille d’épaulards à l’entrée de l’estuaire qui a fait peur aux autres baleines, d’autres sont certains que ce sont les changements climatiques qui bousillent tout, et d’autres encore sont convaincus que les fautifs sont les bateaux/zodiac de croisières aux baleines – elles ne sont pas folles, dit-on, elles sont écœurées de se faire pourchas-ser ainsi.
Qu’en est-il vraiment? J’ai posé la question à Marie-Ève Vollant, une amie naturaliste (guide de croisières). Elle me donne l’heure juste. « C’est une année difficile, il n’y a pas beaucoup de baleines, mais à chaque sortie, on en voit. En réalité, on ne sait pas pourquoi il y en a moins, en particulier cette année. Il s’agit sûrement d’une question de bouffe. Depuis plusieurs semaines les quelques grosses baleines restent au même endroit, entre le Cap Granite et la bouée K55, soit à 4-5 km au large, disons entre les Bergeronnes et Tadoussac. » Environ 8 rorquals communs et 2 baleines à bosse, Gaspar et Aramis. Gaspar est né dans les Caraïbes à l’hiver 2004-2005, Aramis, elle, est arrivée dans le parc marin Saguenay—Saint-Laurent, jeune baleineau avec sa maman Tic Tac Toe en 2007. Cette année, Tic Tac Toe s’est pointée dans l’estuaire au début de la saison, puis est repartie, on ne sait où. Marie-Ève s’en inquiète et espère qu’il ne s’agirait pas de la baleine qui s’est échouée à Sept-Îles en juin et qu’on n’a pas eu le temps d’identifier avant que la mer ne l’emporte.
Au Paradis marin, on en est donc à laisser les gens croire ce qu’ils pensent avoir vu. L’autre jour, un petit rorqual a fait quelques pirouettes. Un couple a cru qu’il s’agissait d’une baleine à bosse qui s’excitait; ils étaient comblés. On n’a pas eu le courage de gâcher leur plaisir…
Des centaines de bélugas!
Du jamais vu au Paradis marin. Après une journée de grands vents, vers 17 h 30, j’aperçois des taches blanches un peu plus bas sur le fleuve. Bélugas! Ô surprise, des centaines se retrouvent devant nous, et y sont restés pendant plus d’une heure. Au moins deux cents, en groupes de 15-20. Avec le soleil qui plombait, dans un angle d’environ 40 degrés, sur ces anges blancs du Saint-Laurent, c’était d’une beauté divine. Tout le monde en délire sur les rochers, comme si la Vie « nous » avait choisis –photos, vidéos, textos, soupers qui collent dans les poêlons.
Les bélugas ont l’habitude de voyager en groupes, mais rien comme ça! Normalement, on les voit passer devant et ils poursuivent leur route. Là, ils sont restés devant, tournaient en rond. Il a dû y avoir une manne de poissons qu’ils n’ont pas ratés. Ils remontaient le fleuve, direction … Cocouna peut-être?
On fabule sur le Cap 1. « Les bélugas arrivent, ils ont entendu la nouvelle – pas de port pétrolier à Cocouna! » « Hé non », crie l’autre, « Moi je dis qu’ils font front commun, se ravitaillent en masse ici avant de partir en guerre contre TransCanada. »
Et ça continue, une réplique n’attend pas l’autre. « Mais non, les bélugas sont venus dire à la communauté du Paradis marin un GROS MERCI d’avoir signé la pétition contre le port pétrolier et pour la protection de leur pouponnière! »
« Chérie, prend le glacier en photo! »
Faute de baleines, l’endroit opère tout de même sa magie… Le clou de la semaine : Un couple d’Européens, en camping au Paradis, scrute le fleuve dans l’espoir de voir quelque chose, appareil photo en main. BINGO! Le monsieur tout énervé dit à sa conjointe : « Chérie, regarde le glacier, là, à gauche, vite prend-le en photo! »
… On n’a rien dit, mais avons bien rit par en-dedans. Il s’agissait du traversier Escoumins—Trois-Pistoles! Il est blanc et a une forme qui pourrait ressembler à un morceau de banquise qui s’est détaché. L’an prochain, ils arriveront par centaines, sinon par milliers, pour observer baleines et glaciers/icebergs dans notre beau coin de pays.
Peu importe, baleines ou pas, c’est splendide ici. L’observation et l’attente des baleines ne seraient pas aussi passionnantes si on savait exactement ce qui se passe avec les baleines, où et quand elles se poin-teraient. Tout le mystère entourant ce mammifère marin nourrit en nous quelque chose d’aussi mystérieux et qu’on ne saurait nommer.
Carolle Bertrand est native d’Aylmer – chanteuse/musicienne, artiste visuelle, chroniqueuse -
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