ÉDITORIAL
Dis-moi petit pot de vin…
Avec les « Panama papers », on nous parle en fait de notre rapport à l’argent, de ce que je pourrais appeler l’éthique financière. Formule ô combien contradictoire dans notre société, ironique même, si l’on considère notre soif insatiable d’argent, qui s’illustre à la perfection dans l’exemple qui suit.
Ainsi, goutons le plaisir de voir le premier sommet international anticorruption de l’histoire se dérouler dans la capitale de l’évasion fiscale. En effet, il n’est un secret pour personne que Londres, en Angleterre, est le centre financier accueillant la majorité des dépôts en échange offshore et le tiers des paradis fiscaux au monde. La moitié des entreprises citées dans les « Panama papers » sont inscrites dans des territoires britanniques d’outre-mer! Le symbole est donc puissant, la réalité, un peu moins : parmi les 300 économistes de la trentaine de pays représentés, très peu venaient des pays qui sont des paradis fiscaux sous l’influence du Royaume-Uni. Comme le note le chroniqueur du Devoir, Gérard Bérubé, c’est « la culture de la corruption [qui] encourage l’évasion fiscale ». L’Angleterre, un champion de la morale sans filet social, avec des salaires minimaux dignes d’un pays en développement, où l’éducation publique est en faillite, le réseau de la santé anémique, tout cela après 30 ans de néo-libéralisme jamais remis en cause. Il est vrai que le chômage est presque résiduel (5,6 %). Pas vraiment impressionnant. Notez qu’il est cohérent alors de laisser les individus placer leur argent là où ils le désirent, en toute liberté. Pourquoi l’état régulerait-il les flux financiers, alors qu’il déserte le terrain de l’éducation, de la santé ou de la culture?
Et puis pourquoi s’énerver et se choquer encore devant les chiffres inconcevables de l’évasion fiscale? À Londres toujours, la moitié des résidences des quartiers riches sont en fait la propriété de sociétés-écrans inscrites dans des paradis fiscaux, dont le but, faut-il le rappeler, est de permettre à leurs détenteurs non seulement de ne pas payer d’impôts, mais également de (je cherche mes mots économiquement corrects) rentabiliser leur investissement. Et on ne comprend pas l’inflation des prix du logement à Londres! Mais il ne faut surtout pas taxer les entreprises, clame la City, sinon elles n’embaucheront plus… Comme si l’objectif des compagnies (surtout les plus grandes) était de fournir de l’emploi! La recherche de profits peut-être? Les Anglais sont les champions de l’austérité (oui, la même que celle de nos libéraux à nous) sans croissance.
En parlant de chiffres obscènes, en voilà un autre : 2000 milliards $ par an, l’équivalent de la richesse produite par le Canada en un an, 2 % de l’économie mondiale! Selon le Fonds monétaire international (pas un groupe d’idéalistes de gauche altermondialistes), c’est ce qui est versé dans les systèmes publics en pots-de-vin chaque année dans le monde. Vous me direz « c’est pas chez nous », quoiqu’après la Commission Charbonneau, ce n’est pas sûr… Le problème avec la corruption? Ses couts indirects sont grands : confiance dans l’état en chute, faible croissance, plus grande inégalité de revenus, mauvais exemple… Et surtout, pour vous les convaincus que l’économie doit primer dans nos préoccupations et nos politiques : la corruption (l’enveloppe brune, le dessous de table, le rabais sur le prix du service moyennant un paiement comptant) constitue un manque à gagner monumental pour les états, autant d’argent qui ne sera pas redistribué dans le système scolaire, de santé ou social. Oui, mais c’est de l’argent qui reste dans mes poches, me rétorquerez-vous, lorsque je paye cash le plombier ou l’entrepreneur. Pas faux, mais également peu éthique, non?