ÉDITORIAL
D’un océan à l’autre
La nouvelle est passée presque inaperçue du grand public, au moins au Canada. Nous étions trop occupés à nous remettre des bières bues pendant la Saint-Jean, à changer le drapeau fleurdelysé pour l’unifolié, en nous esbaudissant devant ce que l’un des personnages des Lettres persanes (Montesquieu, 1821), Rica, appelait « une vieille idole qu’on encense par habitude » : la reine Elizabeth II, symbole de la stabilité constitutionnelle du Canada, et je pourrais même ajouter le pape — bientôt en visite au Canada — symbole lui aussi d’une autre forme de stabilité (rigidité ?) plus spirituelle. De bien piètres écrans de fumée qui cachent les véritables enjeux.
Suite à une grande conférence de cinq jours à Lisbonne, au mois de juin, l’ONU vient tout juste de déclarer l’« état d’urgence des océans », sur fond de crise climatique générale. J’ai, nous avons la bizarre impression que l’océan serait davantage autonome, capable de s’autoréguler et d’absorber la pollution que l’on y déverse dedans. Sur la plage, on dirait que la mer est toujours la même que dans nos souvenirs d’enfance ; l’océan est tellement immense et profond qu’il peut aisément tout encaisser, voyons ! Rien de plus faux.
Il faut en effet rappeler que l’eau recouvre les deux tiers de la surface du globe et génère la moitié de l’oxygène que nous respirons, sans compter qu’elle contient les protéines nécessaires à la vie de milliards de personnes… et régule une grosse partie des changements climatiques : 1. En absorbant le tiers de la pollution au CO2 (ce qui l’acidifie et déstabilise ainsi les chaines alimentaires aquatiques, réduisant d’autant sa capacité d’absorption !) 2. En réduisant de plus de 90 % l’excès de chaleur, lui-même se réchauffe, ce qui détruit les récifs coralliens et crée des zones mortes en oxygène.
Mais nous, Canadiens, n’avons pas sous les yeux les continents de plastique (ou gyres océaniques) qui recouvrent aujourd’hui plus de 1,5 million de kilomètres carrés — la superficie du Québec ! Ce chiffre va tripler d’ici 2060, provoquant directement (par ingestion et empoisonnement) la mort de millions d’oiseaux et de centaines de milliers de mammifères marins. Nous, Canadiens, venons à peine de voter une loi pour bannir les plastiques à usage unique. Nous, Canadiens, continuons de délivrer des permis d’exploitation pétrolière et gazière, y compris dans des refuges marins sous loi fédérale (cherchez l’erreur). Nous, Canadiens, avons une législation qui freine la surpêche certes, mais nous continuons de mettre la pression sur les écosystèmes marins de biens d’autres manières. C’est 30 % des océans qu’il va falloir protéger, et pas que par des paroles, dans les décennies à venir, si nous voulons continuer à avoir une « alimentation bleue ». Car, comme pour le reste, les effets du dérèglement climatique sont exponentiels.