Défusion # 2
« À long terme, Aylmer serait dans un cul-de-sac »
Danielle Pilette, professeure associée d'études urbaines de l’UQAM, peut comprendre que certains résidents de villes fusionnées, telles qu’Aylmer, peuvent se sentir malmenés par les fusions.
Lors des fusions municipales de 2002, le gouvernement péquiste avait indiqué que la fusion diminuerait les coûts de gestion, mais ce ne fut pas le cas. Or, Mme Pilette, experte en gestion municipale, savait à cette époque que cet argument ne tenait pas la route.
« C’était clair que c’était une mauvaise façon de vendre le projet. Or, c’est vrai que le coût de certains services peut baisser lorsqu’on se regroupe, mais ça dépend », a indiqué Mme Pilette.
« On savait très bien qu’il y a une taille idéale pour offrir des services dans une ville qui est normalement entre 50 000 et 100 000 de population. En amont de cela, ça coûte normalement beaucoup plus. Le coût est notamment plus élevé dans les grandes villes, car on donne beaucoup de services qui nécessitent beaucoup de main d’œuvre. Plus le service est gros, plus le taux d’encadrement va être élevé et donc ça coûte plus cher », a expliqué Mme Pilette.
Les services nécessitant beaucoup de main d’œuvre sont le service de police et le service de sécurité incendie, qui représentent une grande masse salariale. « Plus la ville est grande, plus les problèmes sont complexes », a ajouté Mme Pilette.
Outre ces services, il y a aussi des services à forte demande de capital qui nécessitent de gros équipements ou de gros volumes à traiter, tel le traitement d’eau. « Par contre, plus il y a de mètres cubes d’eau à traiter, moins le coût de l’opération sera élevé. Le défi pour ces services c’est de se doter de l’équipement nécessaire qui coûte très cher. Dans ce cas-ci, vaut mieux avoir plus de populations », a noté Mme Pilette.
Alors pour d’anciennes minuscules municipalités, elles avaient tout à gagner à se regrouper afin de diminuer le coût moyen des services, mais dans les villes plus grandes ce n’était pas nécessairement le cas. Par contre, se regrouper comportait d'autres avantages.
« Le regroupement génère davantage de richesse. Il apporte un produit intérieur brut (PIB) plus élevé et les économies nationales et provinciales sont beaucoup tributaires des PIB des grandes villes. Alors, il y a des avantages à se regrouper afin de faire émerger de grandes villes compétitives à l’échelle nord-américaine. On le voit très bien, le capital, l’instruction, la formation, ça se regroupe afin de produire des valeurs ajoutées dans les grandes villes », a expliqué Mme Pilette.
C’est ainsi une des raisons pour laquelle la majorité des grandes villes au Canada sont les fruits de fusions. En fait, il existe qu’une grande ville canadienne avec un modèle décentralisé, soit Vancouver. La ville centre est encore dans les 600 000. Mme Pilette indique que Vancouver est le seul contre-modèle au Canada.
« Si nous sommes une petite ville, le niveau de service fait qu’on ne serait même pas considéré dans la décision de localisation d’entreprise mondialisée. Être une grande ville est une façon d’acquérir une notoriété de pouvoir entrer sur le marché de la captation de la richesse ».
Par contre, pour Aylmer, attirer des multinationales est certainement intéressant, mais moins alléchant par rapport à une autre municipalité, car une grande majorité des gens qui habitent Aylmer travaillent déjà pour la fonction publique.
« On peut toujours dire que “oui, je veux être une banlieue-dortoir et ne pas attirer de développement économique” sauf qu’à long terme, à mon avis, c’est une erreur. Ça peut être attrayant pour le moment, mais à long terme la ville va subir le vieillissement de la population et le marché immobilier va s’effondrer. » Une telle situation se produirait notamment si les jeunes n’achètent pas les maisons habitées par la population vieillissante.
« Une banlieue résidentielle c’est vivable et c’est soute-nable, si le marché immobilier pour la résidence demeure bon, mais si le marché immobilier pour la résidence n’est pas bon on fait quoi ? C’est comme si on raie la valeur de la propriété. »
«L’agglomération de Gatineau»
Malgré cette réalité, il n’est pas impossible qu’Aylmer redevienne une municipalité. Par contre, son nouveau statut compliquerait grandement les choses. Selon Mme Pilette, si Aylmer deviendrait une municipalité défusionnée, elle serait ensuite liée à l’agglomération de Gatineau qui serait à son tour créée. Afin d’être une municipalité liée fonctionnelle, il faut que la richesse foncière demeure beaucoup élevé que la ville centrale, autrement être une ville liée coute trop cher.
« À Montréal, il y a plusieurs municipalités liées où la richesse foncière est beaucoup plus élevée que celle de Montréal. Par contre, les municipalités liées et riches de Montréal commencent à s’inquiéter. Elles se rendent compte que les valeurs foncières augmentent plus vite dans les arrondissements centraux de Montréal que dans les municipalités liées. Celle-ci augmente grâce à la centralité. La tendance, maintenant, c’est d’être au centre », a expliqué Mme Pilette.
Cette tendance compliquerait les choses pour les défusionnistes d’Aylmer, car selon Mme Pilette il est impossible de maintenir une bonne situation financière s’il n’y a pas de nouvelle construction de types variés. « Autrement dit, il ne faut pas fonctionner que sur de vieux acquis », a-t-elle ajouté.
Dans l’éventualité qu’Aylmer devienne une municipalité liée, Mme Pilette croit que les résidents constateraient après quelques années que c’est plus contraignant encore que d’être un arrondissement (secteur), car les pouvoirs dans l’agglomération seraient très limités. « Il faut rester dans l’agglomération, car cela s’impose, et la municipalité n’a pas de pouvoir et la richesse foncière centre augmente plus vite que la richesse foncière d’Aylmer. Donc à long terme, Aylmer serait dans un cul-de-sac. »