ÉDITORIAL
Cravate club
Chose promise, chose due. Il y a quelque temps a eu lieu une tempête épique dans le verre d’eau de la politique française, qui rappelle les prises de bec qui surviennent ponctuellement chez nous, à l’Assemblée nationale ou à la Chambre des communes. En effet, la bataille s’est jouée autour du sujet ultrasensible du port de la cravate dans l’hémicycle, rien de moins.
À l’origine, la proposition par l’un des députés (de droite — qui comprend Renaissance, le parti du président Macron, Les Républicains et le Rassemblement national) de rendre obligatoire la cravate, en modifiant les règlements de l’assemblée législative française. Tollé de l’autre côté, principalement représenté par la NUPES, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale, une coalition improbable des principaux partis de gauche, incluant le Parti communiste.
La pomme de discorde se résume quand même à un petit bout de tissu. Aux dires de certains experts politiques, cette dernière serait pourtant lourde de sens et même le symbole à elle seule du système parlementaire français et du pouvoir d’une certaine élite ! Par conséquent, la couper, la dénouer ou pire, l’enlever, serait un acte de désobéissance civile anti-bourgeois, anticonformiste, d’une modernité incroyable… On serait « sans cravate » (dixit Mélenchon), comme d’autres furent « sans-culotte » dans les années 1790.
Le député des Républicains à l’origine de la dispute, lui, avance qu’il faut combattre cette « forme de relâchement vestimentaire » qui illustrerait peut-être un laisser-aller du comportement des députés, voire de la pensée… L’habit fait-il à ce point le moine, en l’espèce des politiciens ? N’est-il pas temps en 2023 de moderniser la tenue de nos représentants ? À défaut de changer le système électoral, un tel changement cosmétique pourrait paraitre séduisant aux marchands de rêves qui nous gouvernent.
En tout cas, un vent de fraicheur a soufflé sur l’auguste assemblée, lorsque les députés de la NUPES se sont pointés en bras de chemise ou en t-shirt. Face à eux, les députés d’extrême droite paraissaient engoncés dans leurs costumes-cravate ou leur tailleurs un peu étriqués. Le problème est que l’Assemblée nationale française ne dispose d’aucun code vestimentaire officiel. Pour les visiteurs, une simple mention d’une « tenue correcte (pour les hommes : veste ou blouson à manches longues, pantalon long ») est faite dans L’instruction générale du Bureau. Pour les parlementaires, on parle seulement d’une “tenue de ville” ! Après, il y a des usages… On a ainsi longtemps refusé le pantalon aux femmes, au profit des jupes ou des robes. D’ailleurs, les députées de la NUPES ont marqué leur désapprobation en portant sur des leurs tenues les cravates les plus laides et les plus insolites possibles.
L’affaire n’est pas nouvelle en vérité, puisque plusieurs fois l’histoire parlementaire de l’hexagone a été émaillée d’incidents vestimentaires, comme autant de gestes symboliques : Pierre Leroux portera le bleu des ouvriers en 1848 ; Christophe Thivrier se présentera également avec la blouse bleue des mineurs en 1889 ; Jack Lang en veste noire à col Mao en 1985 ; Patrice Carvalho en bleu de chauffe en 1997 ; Valérie Pécresse en jean en 2012 ; Jean Lasalle en gilet jaune en 2018 ou les députés de la France insoumise plus récemment en veste de couvreur à col cassé. Et pourquoi ne pas discuter maintenant des chaussures tant qu’on y est ? Pas plus dans une assemblée législative que dans la rue une tenue vestimentaire n’est anodine.