ÉDITORIAL
Aux urnes, citoyens !
Par principe, il est toujours intéressant de se garder la possibilité de douter. Mercredi soir, à l’issue du débat des candidats aux élections fédérales qui s’est tenu au British, mon dernier mot fut : « Le lundi 21, allez voter ! ». J’ai l’intime conviction qu’aller voter est bon pour notre société, pour la démocratie, C’est un système auquel j’adhère totalement. Cependant, il faut reconnaître que c’est comme un truisme, un cliché : qui dans nos sociétés oserait soutenir qu’il ne faut pas aller voter, même si plusieurs le diront, mais ne le feront pas ?
Serait-ce si choquant, après tout, de ne pas aller voter ? Certains d’ailleurs prônent l’abstention, comme cet enseignant de l’Université du Québec à Montréal. Selon lui, les abstentionnistes seraient même plus engagés dans la société que la plupart, qui votent par habitude, par convenance ou pour des raisons partisanes, sans remettre le dogme en question. Ces électeurs qui ne se prévalent pas de leur droit défendent parfois des idées politiques, qu’ils soient « dans les syndicats, dans des [associations] de quartier, des groupes de militants anticapitalistes, antiracistes, écologistes, de femmes ». Simplement, ils pensent que voter est une manière d’adhérer à un système qu’ils n’approuvent pas. Et en cela, ils ont certainement raison. Toujours selon Francis Dupuis-Déri, ils considèrent agir politiquement, mais autrement.
Nous pourrions répliquer qu’ils n’ont qu’à voter blanc (bulletin nul), c’est-à-dire ne choisir aucun des candidats en lice. Mais leur vote n’étant pas comptabilisé (quand nous a-t-on donné pour la dernière fois le pourcentage de bulletins blancs ?), il n’envoie aucun message. Dès lors, comment exprimer son désaccord ? Serait-ce si difficile de considérer ce non-choix comme un choix et un message ? Il y a là, convenez-en, une bizarrerie, ou peut-être une hypocrisie…
Un autre argument que défendent les abstentionnistes militants — pas ceux qui préfèrent partir en congé, tondre leur gazon une dernière fois avant l’hiver, ou rester simplement au travail ou à la maison au lieu d’aller voter — c’est que le système politique et électoral n’est pas démocratique. Rappelez-vous que: 1) notre premier ministre actuel a été élu en 2015 avec 40 % des voix exprimées, avec près de 22 % d’abstention et combien de votes blancs — donc peut-être 30 % des voix en réalité… et a obtenu une majorité des sièges à la Chambre des communes ! Le parti vert, qui a obtenu à peine 200 000 voix de moins que le Bloc Québécois, n’a eu qu’un siège contre 10 pour ce dernier ; 2) le même Justin Trudeau est revenu sur sa promesse de mettre un peu de proportionnelle dans le scrutin uninominal majoritaire à un tour, afin que les partis qui ont moins soient plus justement représentés. Il ne s’agissait même pas d’instaurer une proportionnelle complète, comme en Italie ou en Israël ! Il resterait toujours l’aspect « uninominal » : comment Trudeau pourrait-il représenter les électeurs non libéraux de sa circonscription ? Et donc, aller voter ne ferait que cautionner et laisser perdurer cet état de fait. Bref, être un vrai démocrate consisterait à ne pas aller voter. Paradoxalement.
Au fond, si l’on peut considérer qu’un véritable progrès a eu lieu depuis la naissance de la démocratie à Athènes, il y a 2 400 ans, quand seuls les citoyens masculins pouvaient voter, admettons toutefois que nous sommes loin du compte au Canada. La situation n’est pas prête de changer avec le Parti libéral…