ÉDITORIAL
Au-delà du sport : la victoire collective
Pour les huit semaines à venir, je vous écrirai depuis l’Europe, et en particulier depuis la France. J’y effectue en effet un séjour en rattrapage de celui que je n’ai pas fait l’an dernier pour des raisons évidentes de pandémie. J’en profiterai pour faire des liens entre l’actualité d’ici et l’actualité de là-bas. Une sorte de journal de voyage, si vous voulez, avec en filigrane un peu la même idée que Rica écrivant à son ami Reddi, dans les Lettres persanes, et à qui les Parisiens demandaient : comment peut-on être persan ?
Coïncidence : j’ai atterri à Toulouse, en France le 15 juin dernier, alors que le Québec se remettait de la victoire en six matchs en demi-finale de la Coupe Stanley, le jour même de la finale du Championnat de France de Rugby, entre le Stade toulousain et La Rochelle. L’aura du Stade toulousain est comparable à celle de la Sainte Flanelle. Bien que Montréal ne soit pas la capitale officielle de la province, alors que Toulouse abrite le Conseil de la région Occitanie, ce club est également un véritable mythe dans le rugby français et européen ; un symbole, que le professionnalisme et le mercenariat qui l’accompagne n’ont pas réussi à égratigner. Dans la région toulousaine, on est très très fiers d’être « stadistes ».
Cinq fois champions d’Europe, vingt-une fois champions de France, le Stade Toulousain est une machine certes, en termes de compétition, de phases finales et de victoires, mais c’est d’abord un « club-école », c’est-à-dire qu’un parcours de formation au rugby est offert dés le plus jeune âge et jusqu’au niveau le plus élevé de compétition ; ce qui fait que plusieurs des joueurs de l’équipe A proviennent du club et de la région. Une culture que l’on a moins en Amérique du Nord et qui rejaillit sur le sentiment d’appartenance que l’on peut avoir envers une équipe, par exemple. De plus, autre différence : le Canadien se hisse en finale de la Coupe Stanley depuis la première fois en vingt-huit ans seulement ; toutefois, sa légende en fait une équipe victorieuse…
Dans les deux cas, le match a été joué en soirée et a donné lieu à une liesse, que le confinement et les autres restrictions de cette dernière année ont rendue encore plus démesurée. Des milliers de personnes sont sorties dans les rues pour faire la fête, sans aucune retenue ou souci des règles sanitaires. À Toulouse, malgré l’interdiction de retransmettre la victoire sur grands écrans et la fermeture des restaurants et des bars à 19 h, les partisans ont regardé le match sur leur téléphone, dans les rues, sur les places, debout ou assis sur des bancs… Les terrasses ont quand même fait le plein, avant qu’un raz de marée humain ne déferle sur le centre-ville après le sifflet final.
Au lendemain de la victoire, l’équipe de rugby à 15 du Stade toulousain a été accueillie dès l’aéroport par des partisans, mais encore plus en ville, pour un défilé en autobus à impériale sur le chemin de la mairie, en passant par le stade Ernest-Wallon, terrain emblématique du club, équivalent au Centre Bell à Montréal. Je souhaite d’ailleurs de tout cœur que les Québécois puissent vivre la même folie collective avec la victoire des « Habs ». Mon Dieu, que cela fait du bien !